Avant les premières notes de la tragédie lyrique de Gluck, un comédien déclame quelques phrases de l’Iphigénie en Tauride d’Euripide et il en sera de même en seconde partie, au tour de Sophocle cette fois, dit par une comédienne. Nous sommes au théâtre, avec ses deux portes latérales « EXIT » en haut des gradins sur lesquels les spectateurs applaudissent une jeune danseuse. Comme le souligne l'orage initial de la partition, ponctué ici de bombardements, c’est aussi le temps de la guerre : ces hommes et femmes sont pour la plupart blessés, ensanglantés, comme des réfugiés qui dorment à même le sol sur des matelas de fortune. On remarque un lustre posé sur le côté, ainsi qu’une dalle en béton éventrée au plafond, toutefois difficilement détectable vue de la corbeille et vraisemblablement invisible des spectateurs placés dans les étages supérieurs.

Iphigénie en Tauride à l'Opéra Comédie de Montpellier
© Marc Ginot

Si le metteur en scène Rafael R. Villalobos évoque dans sa note d’intention le théâtre de Marioupol, bombardé il y a déjà plus d’un an par l’armée russe pendant l'invasion de l'Ukraine, sa lecture convaincante n'est pas soulignée à outrance et le spectateur peut ainsi la transposer à bien d'autres guerres, comme si l’humanité était soumise à l’éternelle malédiction des Atrides qui pèse sur la famille d’Iphigénie. Les décors d’Emanuele Sinisi sont à l’identique pendant toute la représentation, à l’exception du troisième acte resserré sur une étroite boîte scénique montrant, en flashback, Agamemnon et Clytemnestre attablés avec leurs trois enfants… et Clytemnestre qui tord le cou de son époux en fin de repas. On apprécie la densité du jeu des acteurs, régulièrement empreint de violence, les choristes étant répartis sur les marches, souvent statiques à la manière d’un chœur antique. Oreste et Pylade entrent ainsi menottés sur le plateau, en sang et brutalisés comme des prisonniers de guerre.

Iphigénie en Tauride à l'Opéra Comédie de Montpellier
© Marc Ginot

À la tête d’un Orchestre National Montpellier Occitanie en très belle forme, la direction musicale de Pierre Dumoussaud est formidable, n’hésitant pas à varier très généreusement les tempos et les nuances. Les nombreux récitatifs accompagnés sont absolument passionnants et présentent un fort relief dramatique, renforcé par la forte acoustique de la fosse montpelliéraine. Le Chœur de l'Opéra national Montpellier Occitanie préparé par Noëlle Gény fournit aussi ses contributions avec énergie et dans une cohésion sans faille.

Iphigénie en Tauride à l'Opéra Comédie de Montpellier
© Marc Ginot

Faisant ses débuts dans le rôle-titre, Vannina Santoni compose une touchante Iphigénie, avec une somptueuse voix de soprano lyrique qui veille constamment à la bonne articulation du texte. La puissance vocale est supérieure lorsqu’elle est placée à proximité immédiate de l’amphithéâtre, par rapport aux moments où elle chante à la rampe, comme pendant l’orage initial. Ses airs doux sont des merveilles de musicalité et de délicatesse, comme « Ô toi qui prolongeas mes jours... » ou encore son aérien « Ô malheureuse Iphigénie ! », assise sur une marche et accompagnée avec virtuosité par le basson et le hautbois.

Vannina Santoni (Iphigénie)
© Marc Ginot

Jean-Sébastien Bou impressionne d’emblée en Oreste par sa projection très sonore (« Dieux qui me poursuivez »), incarnant un personnage ici en proie à de sérieux troubles psychologiques et qu’on voit régulièrement sniffer de la colle. Le baryton consomme peut-être trop de ressources dans ce chant particulièrement forte, rencontrant par la suite plusieurs moments de faiblesse dans les séquences plus tempérées, où il perd en justesse d’intonation dans la nuance piano. Seul non francophone parmi les protagonistes, le baryton-basse Armando Noguera en Thoas n’en reste pas moins attentif à la diction et joue, lui aussi, du registre autoritaire, qui convient ici à ce personnage de méchant. Le ténor Valentin Thill (Pylade) est doté d’un médium très confortable et sait aussi explorer les parties les plus aiguës de la partition, sa sublime aria « Unis dès la plus tendre enfance » étant conduite avec goût. Parmi les rôles secondaires, on remarque aussi la voix de Louise Foor en Diane, d’une très prometteuse séduction.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre National Montpellier Occitanie.

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