Après sa création mondiale en septembre 2019 à Philadelphie, Denis et Katya de Philip Venables est proposé dans le cadre du Festival Radio France Occitanie Montpellier. L'opus était initialement programmé au cours de la saison montpelliéraine, mais les contraintes induites par la pandémie de Covid-19 et le nouveau report de Bacchus de Massenet par les organisateurs du festival ont laissé la place à cette création française – le livret original anglais de Ted Huffman (également metteur en scène du spectacle) faisant l'objet d'une traduction confiée aux soins d'Arthur Lavandier et Alphonse Cemin.
Après la création d'Innocence de Kaija Saariaho au Festival d'Aix-en-Provence début juillet, l'intrigue cible à nouveau un fait divers sanglant impliquant des adolescents. Il s'agit cette fois-ci directement des évènements ayant mené à la mort les deux jeunes amoureux de 15 ans Denis Maravyov et Katya Viasova, dans le village russe de Strugi Krasnye en novembre 2016.
Le dispositif scénique conçu par Andrew Lieberman est un simple quadrilatère au sol blanc bordé d'alignements de bancs, avec un violoncelliste assis à chaque angle : Cyrille Tricoire, Sophie Gonzalez del Camino, Yannick Callier et Camille Supéra. Le chant est distribué à la soprano Chloé Briot et au baryton Elliot Madore, ces deux interprètes ne tenant toutefois pas les rôles des deux adolescents mais prenant, chacun leur tour, la voix de personnages parallèles, comme le journaliste, le professeur, l'ami, l'ado, la voisine, l'ambulancier, etc. Plus que de chant, il s'agit de conversations et de narrations de ce fait divers qui avait défrayé la chronique. Denis et Katya s'étaient en effet filmés en direct, attirant ainsi les internautes qui avaient suivi les péripéties aboutissant à leurs tirs sur un fourgon de police, puis leur mort quelques heures plus tard, sans savoir véritablement s'ils s'étaient suicidés ou avaient été abattus.
Sur la durée totale d'une heure de l'ouvrage, ce sont ainsi trois quarts d'heure qui sont dédiés au récit des jours et heures qui ont précédé la fin fatale, souvent par un chant assimilé à une déclamation, seul ou en duo. Les artistes sont tous sonorisés et montrent un formidable investissement, Chloé Briot s'appliquant sur la prononciation et Elliot Madore faisant entendre un accent étranger prononcé mais pas spécialement gênant, le texte étant toujours facilement compréhensible. On arrive tout de même rapidement à saturation avec ce procédé répétitif : dès lors que l'ami surexcité est par exemple déjà à un niveau presque maximal d'intensité lors de ses premières interventions, la progression paraît ensuite limitée et peu contrastée. Un écran noir en fond de plateau reçoit des échanges de conversations WhatsApp entre le compositeur et le librettiste lors de leurs recherches, et des réactions des utilisateurs de Periscope, un « bip » informatique des années 1990 accompagnant l'affichage de chaque mot. Malgré le petit nombre d'instruments, la musique est plutôt riche et variée, capable d'un fort relief dramatique dans les moments les plus agités, ou de violence par le truchement de la sonorisation.
Le silence se fait avant le dernier quart d'heure et la vidéo s'anime, enfin. Une image fixe d'une gare à l'écran, puis le paysage qui se met à défiler au bruit du train. Le film s'obscurcit et le bruit devient un petit fond sonore, puis Chloé Briot chante doucement a cappella « ... tu peux imaginer ce que tu veux... » pour tirer le bilan de cette histoire et de sa médiatisation. Échangé entre la soprano et le baryton, un air plutôt lyrique et mélodieux arrive juste avant la conclusion, (presque) unique moment dans la soirée qui nous semble rattacher véritablement l'œuvre au genre de l'opéra.
Le voyage d'Irma a été pris en charge par le Festival Radio France Occitanie Montpellier.