Créé en 2019 à l’Opera North, compagnie basée à Leeds, le spectacle en format semi-scénique d’Annabel Arden est repris en l’état en ouverture de la saison montpelliéraine. Ce qui était sans doute la meilleure solution il y a trois ans à l’intérieur du Town Hall (Hôtel de Ville) se révèle cependant problématique ce soir dans la salle du Corum, en délaissant en particulier la fosse d’orchestre pour installer les musiciens sur scène. L’impression se confirme d’assister à une représentation de concert mise en espace, lorsque les solistes font leur entrée commune avant le début de la représentation, les lumières restant d’ailleurs allumées pendant les dix premières minutes.

Aida à l'Opéra Orchestre National Montpellier
© Marc Ginot

Les protagonistes tentent alors d’exploiter au mieux la bande disponible à l’avant du plateau, un cadre de porte séparant l’espace des puissants Égyptiens, à gauche, du lieu où est confinée l'esclave éthiopienne Aida à droite, meublé d’une table et de tabourets. La première image peut questionner : Amneris est allongée au sol avec Radamès à ses côtés et ils échangent un petit moment de complicité ensuite quand elle emprunte la casquette du capitaine égyptien nommé pour aller écraser la rébellion des Éthiopiens. Radamès entretient-il une relation avec la fille du roi ? Mais tout cela est vite oublié lorsqu’il tombe dans les bras d’Aida, le duo entre les deux amoureux à l’acte III nous faisant alors basculer dans une vraie soirée d’opéra, séquence où les interprètes s’épanouissent dans un jeu plus intense.

Les chœurs réunis de l’Opéra Orchestre National Montpellier et de l’Opéra de Nice (idéalement préparés par, respectivement, Noëlle Gény et Giulio Magnanini) ne sont jamais en défaut sur la cohésion d’ensemble, varient les nuances et soignent la beauté du son. Relégués en fond de plateau, ils ont toutefois un peu de mal à participer à l’action, leurs diverses tentatives en levant les bras ou en s’agitant collectivement faisant parfois sourire. Les petites vidéos de Joanna Parker – de mains, pieds, visages recouverts d’une fine couche de plâtre qui se craquèle – ne marquent pas non plus durablement.

Sunyoung Seo (Aida)
© Marc Ginot

L’oreille est bien plus à la fête, d’abord avec la soprano Sunyoung Seo dans le rôle-titre, dotée d’un timbre agréable et de moyens conséquents. Le registre aigu est plus facile et ample que sa partie grave et elle déroule un air du Nil « O Patria mia » émouvant et justement nostalgique. Déjà présent la saison dernière en Mario Cavaradossi, le ténor franco-tunisien Amadi Lagha est de retour sur la scène du Corum pour interpréter un Radamès d’exception. Son air d’entrée « Celeste Aida » est conduit avec goût et un timbre ensoleillé, menant à un aigu final brillant et tenu très longuement. Les quelques brèves approximations d’intonation (par exemple lors d’attaques de certaines notes graves) sont très vite oubliées en regard de la générosité de l’interprète et de la qualité de son émission. Ketevan Kemoklidze distribuée en Amneris séduit par sa voix chaleureuse et bien contrôlée, tout en sachant aussi développer davantage de puissance dans l’aigu, en particulier dans le premier tableau du dernier acte lorsqu’elle maudit les prêtres (« Sacerdoti : compiste un delitto ! »).

Le baryton Leon Kim (Amonasro) tient son rôle mais sans plus, l’instrument est joliment timbré intrinsèquement mais la tenue de la ligne montre rapidement des signes de faiblesse. C’est aussi un peu le cas, dans le rôle moins exposé de Ramfis, du baryton-basse Jacques-Greg Belobo, au timbre riche mais aux aigus plus fragiles, tandis que la basse Jean-Vincent Blot (Le roi) assure plus de stabilité.

Aida à l'Opéra Orchestre National Montpellier
© Marc Ginot

À la tête d’un Orchestre national de Montpellier Occitanie en belle forme, Ainārs Rubiķis sert la partition avec équilibre et précision. Les nuances sont souvent délicates, sans exclure les montées des tuttis au cours des grandes scènes d’ensemble, par exemple celle du Triomphe à laquelle se joignent les deux triplettes de trompettes placées de chaque côté de la salle. La phalange sonne avec éclat mais sans excès de décibels, le chef ayant bien du mérite à maîtriser la coordination de l’ensemble, les solistes qui chantent dans son dos pouvant quand même jeter des coups œil sur les écrans de télévision latéraux qui relaient la battue de la baguette.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra Orchestre National Montpellier.

***11