Heureux public du Festival Radio France Occitanie Montpellier, auquel Sonya Yoncheva et Domingo Hindoyan sont fidèles ces dernières années. Après avoir représenté en concert Iris de Mascagni en 2016, puis Siberia de Giordano en 2017, la soprano et le chef d’orchestre, qui forment un couple à la ville, sont de retour pour une « carte blanche » donnée à Sonya Yoncheva. Le chef helvéto-vénézuélien est placé aux commandes de l’Orchestre national de Montpellier Occitanie, et l’entente avec la formation semble à la fois artistique et cordiale au cours d’extraits musicaux très divers.
L’ouverture de Luisa Miller va ainsi crescendo depuis un démarrage plutôt lent vers un volume qui croît petit à petit, en même temps que le relief dramatique qu’il dessine, mais sans exagération. Les solistes sont en bonne forme, comme la clarinette solo, très sollicitée dans cette ouverture verdienne. Quelques passages uniquement instrumentaux ménageront aussi par la suite des temps de repos nécessaires à la soprano, comme le très apaisant Intermezzo de Cavalleria Rusticana, qui contraste plus tard fortement avec un passage sud-américain vif, alerte et brillamment joué. On imagine que pour cet extrait, la carte blanche a été partagée avec son mari, le chef paraissant comme un poisson dans l’eau pour insuffler toutes les cassures de tempos aux cuivres et percussions, dans des rythmes chaloupés qui donnent envie de s’agiter sur son siège.
C’est en robe noire que Sonya Yoncheva entre en scène pour interpréter un exceptionnel grand air de Luisa Miller « Tu puniscimi, o Signore », avec sa voix d’une ampleur considérable et d’une même beauté sur tout l’ambitus. Les graves sont pleins et tout aussi impressionnants que certains aigus surpuissants, alors que l’interprétation touche en permanence l’auditeur, sous des couleurs riches et variées. Sa « Chanson à la lune » de Rusalka charme par sa suggestivité, donnant immédiatement l’impression d’être transporté avec la cantatrice la nuit en pleine nature pour regarder le ciel. On remarque alors que les sorties de scène de la soprano sont ponctués de grands signes de la main et d’envois de baisers en direction d’une position bien précise dans la salle : il s’agit du fils de la famille, un petit garçon à l’énergie débordante, apparemment le premier fan de la diva !
L’Intermezzo de Cavalleria Rusticana est presque donné une seconde fois dans l’enchaînement de sa version instrumentale, mais dans son adaptation en « Ave Maria », chanté avec une grande intériorité. Une séquence Puccini succède avec l’air d’Anna dans Le Villi (« Se come voi piccina io fossi »), pendant lequel Yoncheva détache un par un les pétales d’une fleur, avant un « Un bel dì, vedremo » d’anthologie. Quels graves nourris, quelle puissance sur l’aigu du dernier mot – « l’aspetto » – et quel investissement ! Certaines inspirations profondes ajoutent encore au drame de la situation et nous n’avions pas ressenti une telle émotion depuis Ermonela Jaho, certainement la grande spécialiste de Madama Butterfly à l’heure actuelle.
Mais Sonya Yoncheva semble aussi pouvoir chanter absolument tout ce qu’elle souhaite, comme le prouve la suite du programme qui emprunte davantage au répertoire de la chanson. C’est d’abord « L’Amour en héritage » qu’interprétait Nana Mouskouri sur une orchestration un peu sirupeuse à l’orchestre, un doux air joliment chanté ce soir, mais pour lequel la cantatrice se démarque moins de ses nombreuses concurrentes. Il en va de même pour la chanson espagnole « No me mires más », appréciable mais sans plus, la soprano ne déployant pas toutes les capacités et qualités de son instrument. La chanteuse se fait en tout cas un plaisir visible au cours de « C’est la saison d’amour » popularisé par Yvonne Printemps, en chantant et dansant sur ce rythme de valse.
« L’amour est un oiseau rebelle » en bis nous confirme que Sonya Yoncheva peut tout faire, une interprétation personnelle qui ajoute d’infimes ralentissements puis accélérations, de subtiles variations dans la reprise des couplets, qui rend passionnant cet air parmi les plus rabâchés pour tout amateur d’opéra. Après l'« Hymne à l'amour » rendu célèbre par Édith Piaf, une reprise de l’air de Butterfly, à la demande du public debout, vient conclure le splendide concert d’une des stars du moment de la planète lyrique.