Après la Dafne du compositeur Marco Da Gagliano l’année dernière (première en 1608), Mars en Baroque en propose à présent une version plus récente d’un siècle, soit Dafne d’Antonio Caldara créée à Salzbourg en 1719. On reste bien dans le cœur de répertoire de la 21e édition du festival marseillais, en imaginant toutefois que l’évocation de la mythique nymphe ne devrait pas non plus se poursuivre jusqu’à la version de Richard Strauss (création à Dresde en 1938) !

Dafne
© Pierre Morales

Fidèles à la manifestation, les quinze musiciens du Concerto Soave, dont onze cordes et trois bois, sont placés sous la direction Jean-Marc Aymes, qui tient également le clavecin. On apprécie cette splendide musique de Caldara, dont l’inspiration mélodique et la variété des orchestrations la rapprochent des plus belles pages d’un Georg Friedrich Haendel. Les nombreux, mais assez courts, récitatifs enchaînent avec des airs plus développés à l’attention des solistes, dans un son collectif équilibré et dynamique. Les bois trouvent ainsi leur espace acoustique au sein du moelleux des cordes, et si la virtuosité du premier violon montre ses limites dans l’accompagnement extrêmement véloce d’un air de Phœbus, celle des deux violoncelles et du clavecin paraît sans faille au cours de plusieurs récitatifs. 

Même dans le cas présent d’une représentation de concert, l’intrigue soutient également l’attention du public : convoitée par Apollon (ou Phœbus, soit Febo dans l’opéra italien) déguisé en berger, ainsi que par le vrai berger Aminta, Dafne, pour échapper aux deux amants, en appelle finalement à Jupiter qui la transforme en laurier, tandis que son père Peneo se change en fleuve.

Julie Vercauteren (Dafne)
© Pierre Morales

Dans le rôle-titre, le timbre légèrement pointu de Julie Vercauteren ne correspond pas forcément à l’évanescence imaginée pour la nymphe, mais elle n’en tient pas moins son rôle avec caractère et énergie pour passer ses difficiles traits d’agilité. Le contre-ténor Nicolas Kuntzelmann se montre bien plus enchanteur en Febo, rôle encore plus développé que le rôle-titre. Son air très doux en début de deuxième acte « Uccelletti, zeffiretti », accompagné par de délicats pizzicati, met en valeur son instrument élégiaque. Le ténor Pierre Derhet en Aminta fait valoir un médium robuste et généreux, mais sait aussi émettre d’élégants aigus en variant les nuances. En Peneo, le baryton Samuel Namotte donne l’impression à l’auditeur d’un généreux volume sonore, renforçant l’autorité du père de Dafne, par ailleurs suffisamment souple pour ses fioriture, mais plus discret dans la partie la plus grave du registre. A noter toutefois qu’il n’est pas évident d’apprécier la puissance vocale des quatre solistes, la sonorisation en place sur le plateau du théâtre de La Criée ayant tendance à uniformiser les nuances et décibels émis par les interprètes.

Autre concert deux jours plus tard, cette fois dans l’église Saint-Nicolas-de-Myre qui accueille la mezzo Lucile Richardot dans un programme intitulé « Maddalena et les magiciennes ». Maddalena pour Maddalena Casulana, première femme dans l’histoire de la musique à avoir publié un livre entier de ses compositions. L’ensemble des cinq musiciennes La Capriola interprète ici, en première mondiale, des madrigaux extraits de son premier livre paru en 1568 à Venise, courtes pièces autour des sentiments amoureux, dont la soprano Clémence Niclas renforce l’aspect régulièrement doloriste.

Place ensuite à Lucile Richardot accompagnée par le clavecin de Jean-Luc Ho, pour évoquer les « magiciennes baroques », autour des trois figures de Médée, Armide et Circé. Après l’ouverture d’Ariodante de Haendel, dont le virtuose clavecin seul a tout de même du mal à concurrencer l’habituel orchestre, la mezzo creuse dans un grave particulièrement riche, aux accents presque masculins dans ses notes les plus basses, pour caractériser Medea dans Teseo du même compositeur. Le rôle est repris dans Il Giasone de Cavalli, davantage dans le style de l’invocation de la sorcière préparant ses maléfices, une voix puissamment projetée et qui effraie véritablement par moments, avant de passer à la Médée de Charpentier (« Quel prix de mon amour »). 

On reste dans le répertoire français en changeant de magicienne, à présent Armide de Lully et son long monologue le plus connu « Enfin, il est en ma puissance », balançant entre haine et amour qu’elle éprouve envers son « fatal ennemi » Renaud. Circé est ensuite l’occasion d’un passage par la langue anglaise, d’abord « Powerful Morpheus, let thy charms » de William Webb, où la mezzo investit acoustiquement et visuellement toute l’église, en déambulant depuis son entrée jusqu’à l’autel. Après la plus connue Music for a while de Purcell, la chanteuse et le claveciniste mettent à leur programme un morceau de choix, la cantate Circé du compositeur Colin de Blamont (créée en 1723), véritable opéra miniature qui enchaîne de très courtes scènes, caractérisées avec un fort engagement par Lucile Richardot qui paraît vivre intérieurement les émotions qu’elle nous transmet. Un extrait de The Fairy Queen est accordé (« One charming night »), avant de reprendre le passage de Webb entendu précédemment.

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