Exécuter le Concerto pour violon et orchestre de Johannes Brahms, parmi les plus virtuoses du répertoire romantique, n’est décidément pas un problème pour Hilary Hahn. Dans l'Auditorium de Radio France, l’Américaine fait preuve dès ses premières notes d’une décontraction totale du bras droit : en plus d’apporter une grande souplesse à son archet, ce relâchement lui permet d’enrober son jeu de rondeur, de charme et de simplicité. Ainsi, le premier mouvement n’accuse aucune rigidité, aucune austérité, et se voit orné de quelques portamentos fort bien sentis qui enrichissent l’interprétation d’un caractère presque théâtral. Si la soliste se permet quelques ralentissements de tempo ou quelques sforzandos pittoresques, ses coquetteries ne se font jamais au détriment de l’élan brahmsien qui, conduit par elle avec une fougue libre et enjouée, emporte finalement tout sur son passage.
Ingrat pour le violon qui est obligé de céder la place aux mélopées du hautbois d’Hélène Devilleneuve, le second mouvement n’appelle en revanche aucune démonstration violonistique, au contraire : cet Adagio se veut recueilli, sobre, émouvant. Et c’est bien ainsi que l’a compris Hilary Hahn : la violoniste prend son temps, utilise toute la longueur de son archet et se laisse porter par la noble pureté de sa mélodie. Dans l’Allegro du troisième mouvement, le jeu de la violoniste américaine redevient virevoltant, enlevé et investi, sans pour autant paraître ni forcé, ni ostentatoire. N’hésitant pas à souligner le caractère hongrois – voire tzigane – de sa partition, la violoniste conclut ce Concerto en communiquant au public son propre plaisir, qui ne s’est visiblement pas émoussé depuis ses débuts.
À l’exception d’un premier mouvement trop morcelé et en manque de flux, l’Orchestre Philharmonique de Radio France parvient à trouver le juste équilibre entre légèreté et monumentalité derrière la soliste, tout en soutenant continuellement l’élan du violon. Guidé par l’évidente complicité qu’il entretient avec Hilary Hahn, Mikko Franck maîtrise ses troupes à la perfection et pousse la phalange à se mettre à hauteur de la soliste dans l’ivresse du finale.
Si la Cinquième Symphonie de Dimitri Chostakovitch est devenue monnaie courante dans les salles de concert (parfois au détriment d’autres opus de son compositeur), cette œuvre laisse les coudées franches à ses interprètes. Faut-il l’aborder au pied de la lettre et avec optimisme, comme l’abjuration du compositeur face au régime soviétique ? Faut-il au contraire lire entre les lignes et y déceler un sarcasme contestataire ? Après l'entracte, Mikko Franck opte ce soir pour la seconde option : aucune recherche du beau son, aucune volonté de masquer les vulgarités de la partition, aucune concession sentimentaliste.
Ainsi la progression dramatique du premier mouvement, portée par des cuivres féroces, se fait brutaliste et à la limite de la laideur expressionniste. En fin de mouvement, la note d’espoir apportée par la délicatesse du duo flûte-cor est vite contrariée par le retour du thème qui balaie définitivement toute forme d’enchantement. On aurait aimé un peu plus de méchanceté mécanique dans l’Allegretto, mais l’alternance des tableaux démontre une certaine inspiration de la part du chef, qui se plaît à souligner le caractère illusoire et presque comique de ce mouvement ; dommage que la présence excessive des huit contrebasses ankylose toute l’agilité et le rebond installés par le chef.
Le Largo est ensuite l’occasion d’une plongée dans une angoisse douloureuse et déchirante, à la manière d’un thrène pathétique avant la marche conquérante du quatrième mouvement. Pris avec l’entière démesure qu’il requiert, ce finale est enflammé par un Mikko Franck qui, dans une veine toute spectaculaire, élargit encore l’ampleur sonore et conclut avec un ralenti tirant judicieusement profit de l’insolence pompière de la partition.