Au cas où les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France auraient trop mangé lors des banquets de fin d’année, c'est le régime sec de Philippe Herreweghe qui les attend en ce début 2023. Le chef flamand prend les rênes de l’orchestre dans ce qui est devenu le rendez-vous traditionnel de la nouvelle année au sein de la Maison ronde : la Neuvième Symphonie de Beethoven. Baroqueux convaincu, pas de la première heure mais presque, Herreweghe offre à l’occasion de ce concert une nouvelle rencontre entre l’orchestre traditionnel et l’interprétation historiquement informée, prouvant encore une fois la possibilité d’un heureux décloisonnement.
Introduites par des trémolos uniformes et homogènes, les incises sotto voce des violons annoncent immédiatement le caractère inéluctable d’un premier mouvement lavé de tout mystère. Sans détours, la musique avance et emporte l’auditeur, au gré de crescendos bien sentis, sur le chemin rectiligne de Philippe Herreweghe. Exit la contemplation des paysages beethovéniens, exit le petit sentiment : ici, la beauté du parcours compte moins que sa destination. Dommage que les cordes médiums (altos et violoncelles) et la petite harmonie soient prises en étau par une présence démesurée des violons et des contrebasses, qui entraîne un manque d’étagement des plans sonores et fait perdre à l’orchestre de sa matière.
Déjà servis dans l’Allegro, les amateurs de timbales auront pu se repaître jusqu’à satiété du jeu précis et mordant de Jean-Claude Gengembre dans le second mouvement ; certes un peu vertes, les peaux n’en ont pas moins vibré ad libitum, avec un volume digne de l’orgie finale de la Symphonie n° 4 « Inextinguible » de Carl Nielsen. Pourtant pris sans grande ironie par le chef, le Scherzo assume ici un certain sens du rebond propre à en communiquer l’esprit dansant et pastoral, sans toutefois dépasser la verticalité de l’écriture pour l’animer d’un véritable flux musical.
Véritable parenthèse de recueillement avant l’effervescence du finale, l’Adagio molto qui suit est malheureusement abordé avec beaucoup d’empressement et peu de cantabile, manquant d’expressivité autant que de conviction. Si l’approche prosaïque de Philippe Herreweghe est en partie compensée par les charmes du hautbois d’Olivier Doise et d’une petite harmonie qui réalise parfaitement ses relais, l’ennui guette.
Le dernier mouvement peine également à s’envoler avant l’entrée des chœurs car, cette fois-ci, la partition impose des circonvolutions embarrassantes pour une direction qui veut avancer coûte que coûte : les réminiscences des thèmes précédents sont enchaînées avec l’impatience expéditive d’une check-list aéronautique. Il faut attendre l’arrivée très soulignée du thème de la joie aux violoncelles pour qu’enfin la direction se mette en place et, comme pour le premier mouvement, avance sans se retourner.
Remplaçant au pied levé Thomas E. Bauer, c’est au baryton Johannes Kammler que revient la lourde charge de lancer le récitatif. Si ses premières notes portent la marque d’une voix encore fraîche, celle-ci ne tarde pas à se réchauffer et, malgré un peu de démonstration et une projection timide dans le registre grave, montre de belles qualités dans le médium. Christina Landshamer développe quant à elle une voix claire, sans artifices, qui surpique l’orchestre comme le chœur de son timbre lumineux. Le suraigu parfois difficile à attraper n’empêche pas la soprano d’assurer sa partie avec élégance, sans rien sacrifier de sa déclamation. Tout en remplissant pleinement leur rôle de soutien harmonique, le ténor Werner Güra et la mezzo Wiebke Lehmkuhl sont malheureusement victimes des lois de l’acoustique qui les camouflent derrière leurs deux collègues. Ajoutons à ce quatuor un Chœur de Radio France si allègre qu’on lui pardonne ses quelques approximations rythmiques – à mettre sur le compte de la gestique peu orthodoxe de Herreweghe ? – et l’on obtient enfin la ferveur attendue d’une Neuvième de Beethoven !