On sait quand on voit Marie-Nicole Lemieux à l’affiche d’un concert qu’on ne sera pas déçu ! Nous n’étions, en effet, pas au bout de nos surprises ce mercredi à l’auditorium de la Maison de la radio et de la musique. Première surprise – qui n'en est pas tout à fait une puisqu'on avait été prévenu la veille : la défection de Mikko Franck et son remplacement par Adrien Perruchon à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Radio France qu’il connaît bien pour en avoir été le timbalier solo.
Le « Concert de Noël » de l’OPRF s’ouvre étrangement par du Rossini très profane. L’ouverture de L’Italienne à Alger commence un peu raide, mais le hautbois d’abord grippé d’Hélène Devilleneuve ne tarde pas à contredire Stendhal (« L’ouverture de l’Italienne est délicieuse mais elle est trop gaie »). On aperçoit au fond de l’orchestre l’un de ces instruments à clochettes – un chapeau chinois – qui évoquent l’Orient, les « turqueries » dont Mozart, Rossini et quelques autres étaient friands. Adrien Perruchon manque encore un peu du « spumante » que Rossini requiert, mais l’entrée en matière est réussie.
Arrive alors Marie-Nicole Lemieux dans une robe fourreau noire bien sérieuse et de nouveau contredit Stendhal : son grand air « Cruda sorte » est tout sauf « faible et sans génie » et montre la chanteuse dans une forme de maturité vocale exceptionnelle, par la richesse du son et l’homogénéité d’une projection naguère moins tenue. Suit un air de La Pietra del paragone que Stendhal, toujours lui, considère comme « le chef-d’œuvre de Rossini dans le genre bouffe » : « Écho charitable, tu es le seul qui me console dans ma douleur », chante notre contralto canadienne en duo… avec le chef, qu’on ne savait pas doté d’un puissant organe de baryton.
La première partie s’achève par l’une de ces pièces d’orchestre que ne dédaignaient pas d’enregistrer naguère les Paray, Cluytens, Karajan, Beecham et qui ont, depuis une quarantaine d’années, déserté les programmes de concerts comme de disques. Qui joue et enregistre aujourd’hui les sept pièces, brillantes, virtuoses ou élégiaques du ballet que Gounod a écrites en 1869 pour la reprise de son Faust à l’opéra Le Peletier, qui sonnent tellement bien à l’orchestre ? Personne ! On en sait d’autant plus gré à Mikko Franck de l’avoir programmé ce soir et surtout à Adrien Perruchon de l’avoir dirigé avec un tel chic, même si l’orchestre sonne toujours un poil trop fort.
Arnaud Merlin, qui a présenté la première partie sur la scène et au micro de France Musique – initiative si longtemps attendue, et pourtant si évidente dans une maison de radio – ne revient pas ouvrir la seconde partie, censée commencer par des extraits de L’Arlésienne de Bizet. En lieu de quoi c’est une Marie-Nicole Lemieux toute de rouge « sapin de Noël » vêtue qui fait sensation pour son retour devant l’orchestre. Le concert « de Noël », c’est maintenant et la chanteuse ne prendra aucune précaution casuistique pour dire sa joie de chanter le Noël des chrétiens, entonnant la Berceuse de Marie (Maria Wiegenlied) de Max Reger (reprise d’une hymne de la Nativité connue en terre germanique depuis le Moyen-Âge) avant le Gesù Bambino du compositeur italien Pietro Yon qui cite le célèbre Adeste fideles. C'est d'ailleurs par un fervent Venite adoremus Dominum que Marie-Nicole Lemieux conclut ce premier bouquet de chants de Noël.
Les trois extraits de L’Arlésienne de Bizet nous font ensuite regretter qu’Adrien Perruchon et le Philhar' ne donnent pas la totalité de la suite. Celui qui est devenu le chef de l’Orchestre Lamoureux l’an passé s’ébroue avec une aisance confondante dans une musique faussement facile, qui sollicite toutes les vertus d’un orchestre. L'Adagietto est à tirer des larmes, quand l'Intermezzo et la Farandole se montrent pleins de couleurs méditerranéennes.
Puis une mélodie d’Augusta Holmès, « Trois anges sont venus ce soir », à laquelle Marie-Nicole Lemieux nous dit, avec une émotion non feinte, tenir tout particulièrement. La chanteuse, manifestement en verve, invite ensuite le public à reprendre en chœur « Les anges dans nos campagnes », et là – prélude à la messe de Minuit ? – la foule répond avec entrain ! Autre « tube » des veillées de la Nativité de jadis, « Minuit chrétiens » que Marie-Nicole Lemieux entonne à pleine et généreuse voix. Follement applaudie, la Québécoise annonce en bis la « chanson n° 1 de tous les enfants » et envoie se faire rhabiller les Tino Rossi et autres Mariah Carey avec un « Petit Papa Noël » d’anthologie (à revoir absolument sur arte.tv !). Une reprise des « Anges dans nos campagnes » et l’on se quitte au comble de la félicité !
