Peu de chefs peuvent se targuer de recevoir du public, avant la moindre note de musique, des applaudissements qui dépassent ceux que reçoivent d’autres chefs après le concert ; encore moins d’être ovationnés debout après deux symphonies de Franz Schubert ! Véritable leçon de simplicité, de bienveillance et d’humilité, le concert de ce soir à la Philharmonie a une nouvelle fois démontré qu’Herbert Blomstedt était dans une catégorie à part.
Le doyen des maestros revenait à la tête de l’Orchestre de Paris, réparant au passage une bien étrange injustice en réintégrant la Première Symphonie au répertoire de l’orchestre qui ne l’avait plus donnée depuis 1979. C’est sans la moindre forme de complaisance ou d’arrogance que chef et orchestre abordent ce premier travail symphonique (achevé) de Schubert. Au contraire, peut-être ressentent-ils la touchante impression d’effleurer l’essence de l'art de ce compositeur prolifique, tant cette Première Symphonie est révélatrice du corpus à venir. À ce titre, la vision de Blomstedt semble résolument dirigée vers un romantisme naissant : confortablement assise sur Haydn et Mozart, avec toutefois l’inspiration décomplexée d’un Beethoven, cette musique est servie par un effectif réduit qui ne se laisse pas entraver par le classicisme de la forme. Les idées se développent d’une seule coulée sous la direction du maestro qui anime la partition d’une pulsation naturelle et laisse à la musique de vibrants instants de respiration.
Cette vivacité organique insufflée par Blomstedt à l’œuvre de Schubert prend, après l’entracte, toute sa dimension dans une Neuvième Symphonie qui a rarement aussi bien porté son sous-titre de « Grande » Symphonie. Ici, l’économie de moyens dont fait preuve le chef ne l’empêche pas de diriger avec un souffle, un élan vital absolument irrésistibles, qui maintiennent l’auditeur dans un tourbillon sans cesse entretenu. Des appels de cuivre à l’effervescence des cordes, soignant alternativement les couleurs et les motifs rythmiques, le chef distribue la parole aux différents pupitres et procure au public le sentiment d’assister à une conversation orchestrale aussi virtuose que construite. Pourtant, le parti pris de Blomstedt n’est pas celui de la dramatisation à outrance, et le fil qui traverse l’œuvre n’est tendu que par la volonté de dévoiler, du premier au dernier mouvement, les splendeurs de la partition. Cet humble retrait de l’interprète devant la musique semble alors révéler ce Schubert symphoniste comme le pendant tout en sobriété d’un Beethoven, ouvrant la voie à un romantisme qui suggère plus qu'il n'affirme.
Comme électrisé à l’idée de jouer sous la direction d’un chef qu'il connaît bien, l’Orchestre de Paris se montre sous son meilleur jour. Pâte sonore équilibrée, homogénéité des pupitres, virtuosité individuelle, velours des cordes, fondu des vents : tous les maillons sont réunis pour que la phalange fasse valoir toutes les qualités des plus illustres formations. C’est par-dessus tout l’allégresse qui a caractérisé le jeu des musiciens et, à l’instar du finale virtuose de la Première, l’investissement de l'orchestre s’est maintenu à son paroxysme du début à la fin. Se communiquant de proche en proche, cette belle énergie a finalement irradié d’émotion le public de la grande salle Pierre Boulez, comme la transfiguration musicale du sourire caractéristique d'Herbert Blomstedt.