Quelques mois après une Neuvième Symphonie de Mahler pas entièrement convaincante, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris et son directeur musical Gustavo Dudamel ont fait leur retour à la Philharmonie de Paris dans un programme considérablement plus hétéroclite, juxtaposant le XVIIIe siècle de Haydn au XXe de Ravel, Strauss et Messiaen. Associant quatre petits bijoux symphoniques aux styles divers, ce concert était l’occasion pour les résidents de Bastille et Garnier de montrer l’étendue de leur art, y compris dans un répertoire extra-lyrique qu’ils ne fréquentent que rarement.
Dernière composition pour grand orchestre d’Olivier Messiaen, Un sourire ouvre le concert et permet à l’orchestre de faire valoir sa maîtrise des partitions de la fin du siècle dernier. Parfois obscure pour ses interprètes, l’œuvre semble ici parfaitement limpide pour les musiciens de l’Opéra qui, par leur articulation du fond et de la forme, parviennent à la rendre intelligible pour le public. Tantôt aérien et parsemé des pépiements du violon de Petteri Iivonen, tantôt terrien et diablement percussif, l’orchestre rend compte de toute la richesse et de l’ambiguïté de cette pièce : à la fois crépuscule et retour à la vie, fruit de décennies de recherches du compositeur sur son propre langage musical, cet apogée esthétique de Messiaen reste empreint d’insouciance et résolument tourné vers la jeunesse. Prenant la forme d’un double hommage – à la mère du compositeur et à Mozart –, l'œuvre prélude également à merveille à l’œuvre de Haydn.
Première des six Symphonies parisiennes du père du style classique, la n° 82 dite « L’Ours » est l’œuvre d’un compositeur en pleine possession de son langage symphonique et dont chaque opus est à prendre comme un cadeau fait à l’orchestre. Cette partition est dirigée avec entrain et dynamisme par un Gustavo Dudamel qui prend soin d’alléger la pâte sonore en installant rebond et légèreté. Pourtant l’investissement du maestro sur son estrade n’est pas suivi d’effets par les musiciens qui, peut-être moins à leur aise dans ce répertoire, restent rivés sur la partition sans parvenir à traduire musicalement l’élan du chef. Malgré tout, le Vivace du quatrième mouvement, par sa dentelle virtuose aux cordes et sa montée en tension intelligemment construite, conclut cette symphonie sur une note plus convaincante.
Retour au XXe siècle après l’entracte avec deux suites orchestrales : celle de Ma mère l’Oye de Maurice Ravel et celle du Chevalier à la rose de Richard Strauss. La première, tirée de cinq contes pour enfants, pousse l’orchestre à fondre ses pupitres dans un halo sonore féérique et enchanté, dans lequel quelques subtils mariages instrumentaux restent saillants. Soucieux du détail comme de l’ensemble, Gustavo Dudamel prend alors plaisir à s’immerger dans la matière sonore de ce jardin des délices ravélien – et nous avec.
Issue de l’opéra de Strauss, la seconde suite conclut le concert en remettant les interprètes sur les rails de leur répertoire habituel, et conduit à un triomphe pour le chef et son orchestre. Ceux-ci s’engouffrent dans ce Rosenkavalier avec un sentimentalisme outrancier, qui se justifie tant par l’esprit de la pièce que par une absence de mise en scène qui pousse à l’exagération. Ainsi, la musique se fait brûlante, sensuelle, extatique, mais aussi excessivement pesante et grotesque dans les valses du Baron Ochs – que l’orchestre prend ici avec une sagace ironie. Peu interventionniste mais très communicatif, développant conjointement tension et narration, Dudamel enchaîne ces cinq tableaux en un flux ininterrompu et donne la sensation à l’auditeur d'être directement projeté sur la scène de l’opéra, là où se joue le drame. Ce concert, destiné à révéler les nombreuses qualités de l’orchestre, n’aura décidément pas manqué son but, comme en atteste la chaleureuse ovation d’un public heureux de voir ces superbes musiciens à même le plateau, hors de l'obscurité habituelle de leur fosse.