Alors que la saison actuelle est toujours à peu près au point mort dans le secteur belge du spectacle vivant (concerts et représentations sont limités à 50 spectateurs), La Monnaie compte sur 2021/2022 pour tourner la page, avec une programmation qui « respire l’optimisme et la confiance » selon le directeur de l’institution, Peter de Caluwe. En espérant que le vaccin et les mesures sanitaires produisent leur effet, voilà qui nous donne des raisons d’espérer de belles émotions lyriques à Bruxelles l’an prochain ! Tour d’horizon de la prochaine saison.
Amateurs d’ouvrages majeurs de l’histoire de l’opéra et d’héroïnes malmenées, vous serez servis : Lulu, Norma et Carmen se succèderont dans cet ordre de novembre à février. Ces trois grandes figures féminines seront incarnées respectivement par Barbara Hannigan (qui retrouve ainsi un rôle qu’elle avait inauguré à La Monnaie en 2012), Davinia Rodriguez (qui fera ses débuts à Bruxelles) et Stéphanie d’Oustrac. Notons que la distribution « bis » de l’opéra de Bizet vaut elle aussi le détour : excellente récemment en Prouhèze du Soulier de satin parisien, Ève-Maud Hubeaux fera ses premiers pas dans le rôle de Carmen.
Si la première de ces trois productions est une reprise (signée Krzysztof Warlikowski en 2012), les deux autres seront des nouveautés. Norma bénéficiera de la lecture de Christophe Coppens, qui avait érigé un mémorable Château de Barbe-Bleue en 2018 – une « exceptionnelle réussite », selon notre rédacteur. Après le palais de verre de l’ogre bartókien, les druides de Bellini évolueront dans un autre univers radical : un décor en béton, brut et brutal, jonché d’épaves de voitures. À la baguette, un jeune chef italien fera ses débuts à La Monnaie, Sesto Quatrini – qui vient de se distinguer à Glyndebourne et « qu’on reverra », a déjà annoncé Peter de Caluwe. Quant à l’opéra de Bizet, il est entièrement revisité par Dmitri Tcherniakov. Le célèbre oiseau rebelle de la mise en scène utilise l’histoire de Carmen pour tisser un véritable jeu de rôles, en quête de nos émotions profondes… Pour une production aussi marquante que son Conte du Tsar Saltan il y a deux ans ? À voir !
Pas refroidie par les contraintes sanitaires actuelles, La Monnaie a prévu par ailleurs de s’attaquer à quelques géants lyriques. Outre Parsifal qui sera donné en version de concert sous la baguette d’Alain Altinoglu, deux productions s’annoncent impressionnantes par leurs dimensions et leurs ambitions : Les Huguenots d’Olivier Py vont retrouver La Monnaie pour la première fois depuis la création de la mise en scène en 2011, qui avait alors permis de remettre en lumière l’art lyrique de Meyerbeer. Cette histoire d’amour et de haine sur fond de guerre de religion s’appuiera sur une pléiade de grands chanteurs français (Karine Deshayes, Ambroisine Bré, Nicolas Cavallier, Alexandre Duhamel…). On redécouvrira par ailleurs le fameux Triptyque de Puccini, absent de l’affiche bruxelloise depuis plus d’un quart de siècle ! Poursuivant cette tradition à La Monnaie qui consiste à réunir plusieurs œuvres sur un même fil dramaturgique (cf. la trilogie Da Ponte), Tobias Kratzer enchaînera le thriller sur péniche d’Il tabarro, les mystères au couvent de Suor Angelica et la farce de Gianni Schicchi, tout en insérant des références et des allusions qui donneront l’impression de parcourir en une soirée trois réalités parallèles…
« Un univers polyphonique de pensées et de mystère ». C’est en ces termes que La Monnaie annonce Zelle, création mondiale de la compositrice, cheffe d’orchestre et metteuse en scène Jamie Man programmée en mars 2022. Véritable rituel inspiré entre autres par le théâtre Nô, l’œuvre plonge dans la tête d’une femme soupçonnée d’avoir tué ses enfants. L’opéra contemporain sera particulièrement mis à l’honneur cette année à Bruxelles puisque deux autres créations mondiales seront au programme : initialement prévu pour 2020/2021, The Time of Our Singing lancera finalement la nouvelle saison lyrique en septembre. Le roman éponyme à succès de Richard Powers paraissait tout indiqué pour une adaptation opératique ; on a hâte de découvrir comment le compositeur belge Kris Defoort s’est emparé de cette saga familiale, qui commence avec la rencontre d’un physicien juif allemand et d’une jeune musicienne classique afro-américaine, en 1939 aux Etats-Unis… Jazz, hip-hop et chœur d’enfants semblent en tout cas au menu ! Enfin, le public de La Monnaie pourra découvrir en avril la deuxième partie d’Is this the End ? de Jean-Luc Fafchamps, Éric Brucher et Ingrid Von Wantoch Rekowski. Celles et ceux qui avaient suivi la première partie, donnée en streaming en septembre 2020, retrouveront les personnages, leur errance, des goules et des gnomes dans un dispositif immersif faisant la part belle à la vidéo.
Deux curiosités complètent cette appétissante programmation lyrique : le Requiem de Mozart mis en scène par Romeo Castellucci et transformé en hymne à la vie et à la nature, sous la baguette de Raphaël Pichon ; et l’opéra méconnu De Kinderen der Zee, ouvrage post-wagnérien du compositeur belge Lodewijk Mortelmans, lauréat du prix de Rome en 1893 pour sa cantate Lady Macbeth.
2022 marquant le 250e anniversaire de la fondation de l’Orchestre Symphonique de La Monnaie, une quantité de concerts viendront en outre ponctuer la saison, donnant la baguette à tous ceux qui furent directeurs musicaux de la phalange depuis 1980 : si l’actuel titulaire Alain Altinoglu sera souvent sur le podium, on aura ainsi l’occasion de revoir Sylvain Cambreling, Sir Antonio Pappano et Kazushi Ono dans des programmes qui mêleront le grand répertoire et des ouvertures d’opéras créés à La Monnaie.
Une belle série de récitals vient enrichir une saison dans laquelle on aurait tort d’oublier la danse. Seront notamment à l’affiche deux créations d’Anne Teresa de Keersmaecker, interprétées par la chorégraphe elle-même : l’artiste poursuivra son exploration de l’œuvre de Bach en solo dans The Goldberg Variations et s’attaquera à un autre corpus baroque vertigineux, Les Sonates du rosaire de Biber. Également de la partie pour la reprise des six Concertos brandebourgeois, la violoniste Amandine Beyer sera sur scène pour ce sommet du répertoire : dans ces quinze Mystery Sonatas qui suivent la vie, la mort et la résurrection du Christ, l’interprète doit jouer sur un instrument accordé différemment d’une pièce à l’autre… Si l’on est tenté, aujourd’hui, d’y voir une métaphore des protocoles changeants face à la pandémie, souhaitons à La Monnaie de conserver son optimisme pour la saison prochaine, et de voir les mystères sanitaires se dissiper bien vite !
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Cet article a été sponsorisé par La Monnaie De Munt