Place au pass ! En décrétant lundi 12 juillet l’utilisation généralisée du pass sanitaire bien au-delà du seul milieu culturel, Emmanuel Macron a paradoxalement délivré certains professionnels du secteur d’un sacré dilemme. Jusqu’à présent, les salles de spectacle en mesure d’accueillir plus de 1000 spectateurs étaient les seules à expérimenter ce dispositif contraignant, avec un résultat pour le moins mitigé. Les organisateurs ont bien vu que le pass leur causait une double peine : à la surcharge de contrôle à l’entrée (nécessitant un surplus de personnel) s’est ajoutée la défection d’une partie du public, les spectateurs non encore vaccinés n’étant pas toujours prêts à faire l’effort supplémentaire d’un test antigénique ou PCR avant de se rendre au concert. Ironie du sort, les premières victimes de cette mesure se sont avérées être les jeunes (derniers servis par le vaccin), soit les plus ardemment désirés par un milieu musical classique qui souffre toujours du vieillissement de son public. Dans ces conditions, certaines grandes salles ont donc préféré en rester à une jauge à trois chiffres pour éviter le pass et ses obstacles.
Désormais, ce choix n’existe plus, le pass sanitaire devenant obligatoire dès le 21 juillet pour les événements accueillant plus de 50 spectateurs. Passé le choc de cette échéance aussi soudaine qu'inique (les restaurateurs ont jusqu'au 1er août pour se conformer à cette mesure), les organisateurs de concerts se consoleront en regardant le verre à moitié plein : la généralisation du pass va remettre à terme leurs salles sur le même plan que les centres commerciaux, les cinémas, les restaurants et autres voyages longue distance, ce qui devrait banaliser l’utilisation du sésame. Au rayon des injustices auxquelles nous a habitué l'exécutif depuis le début de cette pandémie, il reste en revanche un deux poids deux mesures incompréhensible avec les lieux de culte, dans lesquels il sera possible d’écouter un sermon sans pass le matin et un concert avec pass le soir… Ça dépend, ça me dépasse, pourrait dire une ancienne gloire du Splendid.
Indispensable, le pass ? Sa mise en vigueur dans les salles de concert en plus des masques et des fontaines de gel hydroalcoolique pouvait initialement donner l’impression d’un excès de précaution ; on aurait pu imaginer un protocole plus rapide et moins intrusif, comme un contrôle des températures à l’entrée des salles. Les dernières nouvelles incitent toutefois à redoubler de prudence et l’enjeu a évolué. Ce qui n’était qu’une crainte il y a encore quelques semaines est aujourd’hui une évidence, étayée par des études fiables et seulement niée par une poignée de complotistes : plus contagieux et dangereux que son prédécesseur, le variant delta du Covid-19 circule activement en France, il mérite qu’on le prenne au sérieux et le vaccin apparaît comme la meilleure arme si ce n’est la seule pour espérer s’en débarrasser… D’où les dernières mesures annoncées par Emmanuel Macron, entrouvrant la porte à l’obligation vaccinale.
Si le milieu des musiciens classiques n’est pas encore concerné par cette question brûlante, cela pourrait être bientôt le cas. Entre les contacts réguliers avec le public, les rassemblements massifs en orchestre et les déplacements fréquents (notamment les tournées internationales), les artistes entrent dans plusieurs catégories professionnelles pour lesquelles l’Académie nationale de médecine a recommandé, dans un communiqué du 25 mai dernier, d’exiger prochainement et en priorité la vaccination obligatoire.
Une telle décision ne manquerait pas de faire grincer des dents au sein des orchestres et autres formations indépendantes qui comptent leur lot de libertaires et autres vaccino-sceptiques, dont la méfiance a peut-être été attisée par une trop grande consommation d’elisir d’amore. L’obligation vaccinale aurait cependant le double mérite de protéger la minorité silencieuse des musiciens à risque, parfois malmenés par des collègues peu rigoureux quant aux gestes barrières, et d’encadrer des pratiques qui ont déjà lieu : après s’être battus bec et ongles au plus fort de la crise pour la survie de leurs ensembles non subventionnés, certains administrateurs privilégient déjà officieusement l’engagement de musiciens vaccinés ou en passe de le devenir, afin de limiter les risques de contamination en interne, de productions annulées et donc de banqueroute potentielle.
Dans le contexte actuel, et alors que l’exemple du Verbier Festival Orchestra présentement en quarantaine montre bien que la musique n’est pas à l’abri des clusters, on ne peut que les comprendre. Et rappeler, comme l’a fait l’Académie nationale de médecine le 25 mai dernier, que l’obligation vaccinale « a été appliquée en France pour la variole (1902-1984), la diphtérie (1938), le tétanos (1940), la tuberculose (1950-2007), la poliomyélite (1964), et étendue en 2017 pour 11 vaccins du nourrisson. » Contrairement à ce qu’on entend dire ici ou là, cette mesure n’est donc en rien le reflet d’un régime prétendument autoritaire ni même d’un parti politique spécifique ; il s’agit avant tout d’une réponse logique à une importante question de santé publique qui n’appelle qu’un seul commentaire : vaccinez-vous. Et prenez vos places et vos passes pour les concerts de l’été !