Alors que le milieu musical classique était en train d’essayer péniblement de se relever après un printemps dévastateur, voilà que la nouvelle d’un reconfinement est venue sonner une deuxième fois ses acteurs. Ceux-ci pourraient baisser la tête, abandonner le combat en cette année 2020 décidément rude. Mais ne déclarons pas le KO trop tôt, tant le spectacle vivant nous a montré une étonnante capacité à riposter face aux nombreux coups du sort.
Souvenons-nous des accomplissements marquants des derniers mois : les artistes lyriques ont uni leurs forces dans une association (UNiSSON) et réalisé un premier concert solidaire dont les recettes iront aux plus précaires d’entre eux ; de leur côté, les compositeurs et compositrices se sont rassemblés au-delà des trop vieilles querelles esthétiques sous la bannière d’un syndicat (le SMC). De nouveaux médias ont été créés pour stimuler et donner une visibilité à la création (Artchipel TV et son excellente émission « A contrario »), des plateformes payantes indépendantes sont apparues sur le web pour maintenir une activité concertante à distance (Classique sur canapé, RecitHall…), et l’équipe d’un festival confiné au printemps a reporté son énergie sur le lancement d’une base de données richissime, proposant la découverte de milliers d’œuvres de compositrices (« Demandez à Clara »). Des festivals entiers ont été échafaudés à partir de pages blanches (Rosa Bonheur, Pulsations, Les Concerts au Potager du Roi…) et pour couronner le tout, une nouvelle salle de concert dédiée aux jeunes artistes a même émergé en plein Paris (La Piccola Scala, dans les sous-sols de La Scala Paris), inaugurée de justesse avant le reconfinement !
Non, décidément, même dans les pires circonstances, ce n’est pas dans la nature des irréductibles gaulois du milieu artistique de se laisser abattre. À cet égard, le Così fan tutte 2020 restera longtemps dans l’histoire du Capitole de Toulouse : pour éviter de baisser le rideau malgré les cas contacts qui contraignaient à l’isolement tout l’orchestre puis uniquement les cuivres, la cheffe d’orchestre Speranza Scappucci a multiplié les réécritures et les transcriptions, donnant dans la fosse plusieurs versions inédites de l’opéra de Mozart ! Cet exemple de sauvetage plein d’imagination n’est pas isolé… En Finlande, le même ouvrage mozartien est allé jusqu’à se transformer en un original et spirituel Covid fan tutte, pour remplacer une Walkyrie impossible à mettre en scène.
C’est tout un ensemble d’acteurs qui doivent être applaudis, au-delà des artistes dont on a l’habitude de chroniquer ici les exploits et les mésaventures. Le premier confinement avait révélé au grand jour l’indispensable talent des ingénieurs du son, auteurs de véritables prouesses lorsque la mode a été aux vidéos d’orchestres éclatés. Quand l’heure des retrouvailles musicales est venue, les questions de distanciation ont mis en lumière la virtuosité des services de billetterie, obligés de naviguer hors du confort de leurs logiciels, et l’ingéniosité des régisseurs, contraints à résoudre le véritable casse-tête de la disposition des orchestres en fonction des nouvelles normes et des nouveaux outils (paravents en plexiglas inclus). Quant au couvre-feu de 21h, il a récemment montré que toute la chaîne de production des concerts était capable d’une souplesse de contorsionniste : des directeurs aux community managers en passant par les responsables de production, chargés de diffusion et autres attachés presse, c’est tout le « personnel soignant » d’une culture mal en point qui s’est démené pour éviter les annulations, maintenir le plus d’événements possibles et informer public et journalistes en un temps record. Merci et bravo à tous ces faiseurs de miracles, dont beaucoup vivent pourtant dans l’inconfort d’un avenir professionnel incertain.
Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, le deuxième confinement ne va toujours pas réduire au silence le milieu musical. L’autorisation à poursuivre les répétitions, les enregistrements et les tournages a déjà permis de maintenir plusieurs concerts sans public : l’Orchestre National de Lille a été l’un des premiers à annoncer la poursuite d’une activité de « concerts digitaux » sur sa chaîne YouTube, bientôt suivi par l’Orchestre du Capitole de Toulouse (sur Facebook) ou encore l’Orchestre de Paris (sur Philharmonie Live et ARTE Concert). Le festival organisé ce mois-ci par la Fondation Singer-Polignac en partenariat avec medici.tv aura bel et bien lieu à huis clos et mettra en lumière la quantité de jeunes talents en résidence dans ce haut-lieu parisien de la musique de chambre. Mais le plus beau pied-de-nez au Covid-19 depuis le reconfinement vient peut-être de l’Opéra National de Bordeaux, la production de Pelléas et Mélisande étant joliment transformée en prochaine publication discographique, avec le concours du label Alpha. Il y a fort à parier que ce projet n’est pas le dernier à naître des contraintes dues à la pandémie.
En cette fin d’année 2020, alors que le confinement vient à nouveau mettre à l’épreuve les professionnels et les amateurs de la musique vivante, souvenons-nous et inspirons-nous de tous ces sauvetages inattendus, ces initiatives solidaires, ces créations formidables qui ont jalonné ces derniers mois ô combien difficiles. Il y a un peu plus de deux siècles, un certain Ludwig van Beethoven, « privé depuis si longtemps déjà de l’écho intime de la vraie joie », ne s’est pas abandonné au désespoir de l’isolement provoqué par sa surdité croissante ; vingt ans après avoir écrit ces mots dans une lettre-testament, il composera même le plus fameux témoignage de résilience de l’histoire de la musique avec sa Neuvième Symphonie et son ode éclatante. Aujourd’hui, si l’on ne peut pas laisser libre cours à la joie beethovénienne pour fêter les 250 ans de la naissance du compositeur, l’esprit de résistance et les miracles réalisés par les différents acteurs du milieu artistique sont cependant le plus beau des hommages.