Voici enfin tournée la page de l’an 2020, page maudite qui inspirera peut-être aux compositeurs de l’avenir des tragédies auprès desquelles les finales de La Traviata et de La Bohème ressembleront à des promenades de santé. Désormais, voici 2021, où tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Un peu plus d’un an après l’apparition du Covid-19, les tâtonnements bien compréhensibles de l'exécutif pendant les premiers mois ont désormais laissé place à une gestion rigoureuse et à un ordre de marche clair et net, tant et si bien qu’on pourra bientôt entonner avec les gouvernants du pays de Voltaire le fameux chœur du Candide de Leonard Bernstein : « We have learned and understood / Everything that is, is good / Everything that is, is planned / Is wisely planned, is right and good. »
« Tout est judicieusement planifié, juste et bon », voilà à peu près ce que défendait Roselyne Bachelot sur France Inter le 17 décembre dernier. La Ministre de la Culture se félicitait alors de la réouverture des conservatoires annoncée par décret dans la soirée du lundi 14, décision inattendue qui a non seulement pris de court tous les professionnels du secteur à quatre jours des vacances scolaires, mais également semblé en totale contradiction avec l’auto-confinement suggéré deux jours plus tôt par le Conseil scientifique dans une note d’éclairage. Pendant que le Ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer tenait compte de ladite note en laissant entendre que les élèves auraient le droit de rester à l’écart des établissements scolaires deux jours avant le début des vacances, l’ex-Ministre de la Santé a donc proposé exactement le contraire, invitant à peupler les conservatoires aux mêmes dates. Replaçons les clusters dans leur contexte musical et le coronavirus arrivera à sa coda sans passer par une reprise, voilà qui tombe sous le sens !
Tout est judicieusement planifié, juste et bon dans les conservatoires. Alors qu’on se demande encore pourquoi diable la rentrée n’a pas été retardée d’une semaine pour ménager une prudente période de confinement après les brassages des fêtes, les professeurs sont de nouveau à pied d’œuvre dans les établissements d’enseignement artistique pour accueillir tous les élèves. Tous ? Presque : dans bon nombre de cas sont exclus les chanteurs et les musiciens à vent (mais pas tous, les classes à horaires aménagés faisant exception), ainsi que les élèves majeurs plus susceptibles de transmettre le virus, sauf s'il s'agit d’étudiants en cycle professionnalisant. C’est pourtant clair ! Quant aux cours de formation musicale, ils sont désormais ouverts à nouveau. Il y est cependant généralement interdit de chanter ; on attend le décret ministériel qui recommandera officiellement de « meumeumer », transformant les salles de classe en troupeaux d’ânes de Shrek. Une autre solution serait de concentrer l’apprentissage musical sur le répertoire sacré exclusivement et de relocaliser la pratique du chant dans les églises le week-end, entre deux eucharisties, puisque les cultes sont autorisés par le Conseil d'État. Rien de tel qu’une hostie et une goutte de vin de messe pour comprendre les marches harmoniques de la Messe en si, le père Bach aurait applaudi !
Car tout est judicieusement planifié, juste et bon hors des conservatoires. Libre de s’entasser dans les TGV et d’y retirer son masque pour déguster une salade à cinquante centimètres d’un voisin penché sur une part de pizza, le mélomane friand de Quatre Saisons ne peut toujours pas se rendre dans les salles de concert, cinémas, théâtres et autres opéras qui n’ont pourtant jamais cessé de respecter scrupuleusement les gestes barrière. Le 17 décembre dernier, toujours sur France Inter, Roselyne Bachelot a doctement expliqué qu’en cas de réouverture des lieux de culture, le problème viendrait des 40 000 personnes supplémentaires circulant dans les rues de Paris. Inutile d’opposer à ce chiffre les centaines de milliers de voyageurs qui ont déferlé dans les gares de France et de Navarre pendant un seul week-end des vacances, les exemples madrilène et monégasque suffisent à montrer qu'on peut poursuivre une vie culturelle publique tout en luttant contre une pandémie.
Mais tout est judicieusement planifié, juste et bon dans le secteur culturel français ! À l’heure où j’écris ces lignes, une quantité d’orchestres, de groupes de musique de chambre, de chanteurs lyriques et autres danseurs répètent pour les productions du mois de janvier, les dernières décisions gouvernementales ayant mentionné la date du 7 pour une possible réouverture des salles... avant que le porte-parole du gouvernement ne fasse volte-face le premier jour de l'année, sans donner davantage de précisions. Face au flou artistique cultivé au sommet de l'État, tous les organisateurs d’événements culturels échafaudent non sans lassitude des plans A, B, C en fonction du scénario que nos gouvernants sortiront de leur chapeau d’un moment à l’autre. Quoi qu'il en soit, la lumière ne viendra pas de la campagne de vaccination, tant celle-ci évolue à la vitesse d’une tortue.
J’aurais préféré conclure cet édito en vous offrant, en guise de postlude à l’année 2020 et de sortie prochaine de la pandémie, le « chant de reconnaissance d’un convalescent à la divinité » du Quatuor opus 132 de Beethoven. Il paraît finalement plus approprié de vous proposer les « Tortues » du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, pour commencer dans un rythme de circonstance l’année du centième anniversaire de la mort du compositeur français. Bonne année 2021 à toutes et tous, et bon courage.