Formé au CNSMD de Paris en piano, musique de chambre, accompagnement et direction de chant, Tanguy de Williencourt aborde avec un même enthousiasme l’activité de soliste et de chambriste. Pour Bachtrack, le jeune pianiste français revient sur son parcours, ses choix de répertoire et sa quête d’équilibre entre les différentes facettes de son métier.
Nicolas Mathieu : Comment avez-vous rencontré le piano ?
Tanguy de Williencourt : J’ai le souvenir d’avoir été très vite attiré par l’instrument. Il y avait chez mes grands-parents ce piano droit Pleyel du début du XXe siècle sur lequel je pianotais étant petit. Et dès l’âge de 7 ans, j’ai demandé à mes parents d’apprendre l’instrument.
Quels sont les musiciens et les œuvres musicales qui vous ont inspiré au cours de votre formation ?
En général, on revient toujours à ses premiers coups de cœur musicaux ! Cela concerne le piano, mais aussi l’orchestre et l’opéra. Pour ce qui est du piano, j’écoutais beaucoup les sonates de Beethoven par Brendel. Il y avait également le répertoire orchestral avec les symphonies du même compositeur sur vinyle, notamment la Cinquième et la Neuvième. L’opéra est arrivé un peu plus tard, vers 11-12 ans, avec trois œuvres en format cinématographique que sont la Carmen de Rosi avec Plácido Domingo et Julia Migenes-Johnson, le Don Giovanni de Losey avec Ruggero Raimondi et José van Dam, et La Traviata de Zeffirelli avec Teresa Stratas et Domingo. Tous ces ouvrages ont été de fortes inspirations pour moi.
Vous êtes diplômé de quatre masters du CNSMD de Paris : piano, musique de chambre, accompagnement et direction de chant. Qu'est-ce qui vous a poussé à suivre toutes ces voies en parallèle ?
En entrant au Conservatoire de Paris, j’avais envie d’embrasser le plus de disciplines possibles. En classe de piano, j’ai eu comme professeur Roger Muraro, un pianiste merveilleux dont l’enseignement m’accompagne encore aujourd’hui. En musique de chambre, j’étais avec Claire Désert, superbe chambriste et pédagogue dont l’enseignement était très complémentaire de celui de Roger Muraro. En accompagnement, Jean-Frédéric Neuburger m’a fait aborder la réduction d’orchestre, la transposition, des disciplines un peu annexes mais passionnantes. Et comme j’aimais beaucoup l’opéra, j’ai voulu m’initier à la direction de chant et au répertoire du lied et de la mélodie avec Anne Le Bozec. Cet apprentissage était fondamental. Nous autres pianistes avons entre les mains un instrument à percussion avec lequel on cherche désespérément ce legato, ce souffle dont les chanteurs disposent. Aussi, dès que je retravaille avec des chanteurs, tout se débloque dans mon jeu ! Et en réalité, quand on pense à l’étude pianistique, ce n’est jamais qu’un travail du chant et du sens orchestral.
Fazıl Say évoquait dans un précédent entretien le caractère symphonique des sonates de Beethoven…
Cela dépend des sonates. Les premières font plutôt penser à une écriture pour quatuor à cordes. On retrouve l’écriture symphonique davantage au sein des œuvres de la deuxième période comme la Waldstein ou La Tempête.
Le répertoire romantique tient une part privilégiée de votre répertoire. Quels sont les compositeurs qui vous attirent le plus ?
Beethoven, Wagner, et Franz Liszt. Mais il est impossible de laisser de côté Schubert, Debussy, Bach, Mozart… après on ne s’en sort plus ! (rires) La musique de Beethoven en particulier est fabuleuse, que ce soit ses sonates pour violon et violoncelle, ses trios avec piano, ses quatuors, mais aussi la Missa solemnis. Il tient une place très importante dans l’histoire de la musique et continue de rayonner aujourd’hui.
Vous avez enregistré avec Théotime Langlois de Swarte un CD « Proust : Le Concert retrouvé » sur un piano Érard 1891. Dans quelle mesure le travail du son sur piano historique se distingue-t-il de celui sur piano moderne ?
J’ai toujours trouvé passionnant de jouer sur des instruments historiques pour pouvoir enrichir le jeu sur piano moderne. Comprendre comment l’instrument sonne à l’époque où une œuvre a été écrite, et saisir comment le son de l’instrument a pu inspirer les compositeurs, c'est une aide précieuse pour jouer sur piano moderne. On apprend également sur les styles d’écriture de ces œuvres. Par exemple, les graves de nos instruments prennent plus de place qu’à l’époque où l’on pouvait jouer un accord plein dans les graves sans que cela sonne difficilement. Aussi, face à une standardisation des instruments aujourd’hui, je trouve passionnant que nous puissions jouer sur des instruments ayant chacun leur propre personnalité, leur propre couleur. Le travail sur ces instruments n’en reste pas moins difficile car la longueur de son est moindre par rapport aux pianos actuels, et la mécanique est plus rigide. J’ai donc passé beaucoup de temps à les apprivoiser pour en faire sortir quelque chose sans forcément être toujours satisfait du résultat… mais il faut faire avec !
Vous avez joué la mort d’Isolde de Wagner transcrite par Liszt sur instrument du XIXe siècle et sur Steinway moderne. Comment avez-vous vécu ces deux expériences ?
À la réflexion, j’ai préféré enregistrer cette œuvre sur le Érard de 1891. L’instrument avait davantage une dimension orchestrale que le Steinway, tout en offrant la possibilité d’avoir une couleur boisée dans le son, même si l’instrument était moins facile à jouer. Et il y avait comme une évidence à interpréter cette œuvre sur ce piano en particulier.
Vous venez par ailleurs d’enregistrer un nouveau disque dédié à Franck avec le Symfonieorkest Vlaanderen, comprenant notamment le poème symphonique Les Djinns sur un poème de Victor Hugo. Comment abordez-vous spécifiquement la musique « à programme », écrite à partir d’un matériau extra-musical ?
C’est très important de revenir à la source de ce qui a inspiré les compositeurs. J’ai joué une grande partie des Harmonies poétiques et religieuses de Liszt, inspirées du recueil de Lamartine, et je dois dire que la compréhension de la conception de l’œuvre change énormément une fois qu’on a lu les poèmes. Je m’apprête à jouer au Théâtre des Champs-Élysées le Schwanengesang de Schubert transcrit par Liszt. Dans ce cas en particulier, l’attention au texte est encore plus importante car il s’agit d’une véritable transcription. On se doit donc d’être plus soucieux encore de connaître le texte. D’ailleurs, on dit souvent de Liszt qu’il ajoute trop de notes dans ses transcriptions, mais ce n’est pas le cas ici. On sent qu’il adore Schubert et qu’il reste humble face à son œuvre, ce qui rend sa transcription très subtile.
Les Djinns sont tirés de ce poème où Victor Hugo ajoute puis soustrait un mot à chaque vers pour former un losange. Franck mobilise cette dimension du texte dans la structure de son poème symphonique, qui est comme un mini-mouvement de concerto pour piano et orchestre. C’est une œuvre géniale et trop peu jouée à mon sens, comme le répertoire de Franck plus généralement, qui est une fascinante synthèse de multiples influences.
Quels liens entretenez-vous avec la création ?
La musique contemporaine est quelque chose à laquelle j’aimerais consacrer plus de temps. Il se passe tellement de choses, c’est extraordinaire ! Que ce soit chez les générations plus avancées comme Michael Jarrell, Philippe Boesmans ou Thierry Escaich, ou les jeunes générations comme Élise Bertrand dont je viens de créer la Sonate-Poème Op. 11 avec Renaud Capuçon au Festival de Pâques d’Aix. Depuis 10-15 ans, il y a une formidable libération des langages qui se multiplient, à rebours de la notion d’avant-garde qui privilégie une seule voie pour écrire de la musique contemporaine.
Comment conjuguez-vous votre activité de soliste et vos autres occupations ?
Je m’ennuie si je ne mène qu’une seule activité. De fait, j’aime trouver un équilibre entre le répertoire solo, la musique de chambre et le travail avec les chanteurs. J’ai également eu l’occasion de travailler comme chef de chant sur des productions d’opéras, notamment La Flûte enchantée au Festival d’Aix avec Raphaël Pichon. Et puis, il y a la direction. J’aimerais davantage diriger comme je l’ai fait depuis le piano avec l’Orchestre de chambre de Paris. C’était une belle première expérience et j’aimerais renouer avec ce format assez exaltant et évident sur le plan historique puisqu’à l’époque, Haydn comme Mozart dirigeaient leurs œuvres depuis le piano.
Aimeriez-vous développer une activité de chef d’orchestre à part entière ?
C’est une question que je me pose assez régulièrement, et au fond de moi je pense que oui. J’avais d’ailleurs suivi la classe de direction d’orchestre pendant un an au CNSMD et une masterclass fabuleuse d'Esa-Pekka Salonen sur la Septième Symphonie de Sibelius. Je reste convaincu que cela pourrait enrichir ma pratique de l’instrument. Je serais donc tenté par un poste d’assistant dans un orchestre pour plus m’y consacrer. Mais cela reste un métier qui demande beaucoup d’investissement et d’expérience, et il me faut trouver le temps avec mon activité pianistique en parallèle...