Discuter au téléphone avec un parfait inconnu peut être embarrassant, mais ce n'est pas le cas quand la voix à l'autre bout de la ligne est celle de Yannick Nézet-Séguin, qui rayonne d'une sorte de bienveillance authentique comparable à ce qu'il dégage depuis le podium d'une salle de concert. En tant qu'habitant de Philadelphie, où Nézet-Séguin occupe depuis 2012 le poste de directeur musical du Philadelphia Orchestra, j'ai la chance de connaître l'enthousiasme qu'il communique quotidiennement et sans effort.
Qu'il préside une soirée d'ouverture fastueuse ou qu'il dirige une lecture sérieuse et pénétrante d'une symphonie de Mahler, cela n'a pas d'importance : la joie des découvertes musicales et la faculté de les partager sont toujours là.
Contrastant avec la posture inaccessible adoptée par les maestros d'antan, Nézet-Séguin offre l'image rafraîchissante d'un chef ouvert et abordable ; comme on dit dans le jargon politique en Amérique, c'est le genre d'homme avec qui on aurait envie de boire une bière. Mais alors que la discussion s'engage, il est encore plus aimable que d'habitude. Peut-être est-ce dû aux circonstances qui entourent notre conversation.
Nézet-Séguin – qui, en plus de ses fonctions à Philadelphie, occupe le poste de directeur musical du Metropolitan Opera depuis 2018 – s'apprête à embarquer pour une tournée aux États-Unis avec son amour de jeunesse : l'Orchestre Métropolitain de Montréal, qu'il mène depuis 2000. En compagnie de la mezzo-soprano de réputation internationale Joyce DiDonato, la tournée fera étape à Chicago, Ann Arbor, New York et Philadelphie.
Nézet-Séguin est excité de présenter l'Orchestre Métropolitain aux spectateurs américains. Il est aussi curieux de découvrir la façon dont l'orchestre de sa ville natale va être accueilli, par des publics qui peuvent le connaître en tant qu'adepte du fameux « son de Philadelphie » ou comme interprète-caméléon du vaste répertoire lyrique.
« L'orchestre est encore relativement jeune – nous nous apprêtons à fêter notre quarantième anniversaire la saison prochaine », dit Nézet-Séguin. « Comparé au Philadelphia qui a 120 ans, ce n'est que beaucoup plus récemment que le son de l'OM a développé quelque chose de singulier. Mais je crois qu'il a maintenant une sorte d'identité, liée au fait que Montréal est une ville très européenne par rapport au reste de l'Amérique du Nord. L'approche de l'OM est très chambriste, avec une écoute importante entre les pupitres et les musiciens. C'est aussi un son qui est très transparent et, si j'ose dire, très tendre, parce que l'ambiance au sein de l'orchestre est très familiale. Il y a donc une humilité dans la façon d'aborder la musique. Ce n'est pas un orchestre qui est là pour impressionner en étant le plus rapide, le plus bruyant, le plus fort. Il s'agit davantage de se placer au service d'une cause plus importante, celle de la musique, tout en échangeant entre amis, comme dans une formation de chambre. »
Le concert s'articulera autour de la Symphonie n° 4 de Bruckner. Nézet-Séguin a fait de l'œuvre du compositeur autrichien un fondement de son répertoire : un peu plus tôt cette saison, il a dirigé l'orchestre du MET dans ses toutes premières interprétations de Bruckner à Carnegie Hall, et l'Orchestre Métropolitain a enregistré l'intégrale des neuf symphonies du compositeur. Nézet-Séguin considère que Bruckner est le compositeur idéal pour le style de l'OM. Mais cette affinité n'a pas toujours existé.
« Mon histoire personnelle avec Bruckner est étrange : quand j'étais étudiant en musique et que j'ai commencé à écouter des enregistrements, je n'aimais pas Bruckner ! » s'exclame Nézet-Séguin. « Je pensais que quelque chose n'allait pas chez moi, et clairement c'était le cas ! C'est peut-être parce que les enregistrements ne reproduisaient pas complètement le sens de la musique. Dans certaines œuvres, la différence est encore plus frappante. Cela a pris quelques années avant que je n'en fasse l'expérience en concert et je suis alors tombé amoureux de cette musique. La première fois que j'ai dirigé une symphonie de Bruckner, c'était la neuvième et je crois que je devais avoir à peu près 26 ans. J'ai immédiatement dirigé par cœur et cela m'a bien fait comprendre à quel point je me sentais chez moi dans sa musique. Et c'est pourquoi il a été un des tout premiers compositeurs avec lequel on est parti à l'aventure avec l'OM, avec moi et ATMA Classique, dans l'enregistrement de l'intégrale des symphonies.
« Ce sont des cathédrales sonores et des symphonies de très grande dimension mais, contrairement à Mahler, ce n'est pas très gratifiant individuellement pour un musicien d'orchestre », poursuit Nézet-Séguin. « La récompense est collective : nous avons le sentiment de servir une cause plus importante. C'est la spiritualité de cette musique. Je pense que le fait que je sois très tourné vers la spiritualité, que j'aie des racines, une éducation catholiques, la musique religieuse, tout cela se retrouve chez Bruckner. Le Québec étant généralement très attaché à la foi catholique, cela explique peut-être aussi ce lien entre l'OM et cette musique. Et c'est formidable pour nous de commencer à reprendre ces pièces. J'ai dirigé une première fois chacune de ces symphonies au fil des ans, ils les ont jouées pour la première fois en tant qu'orchestre, puis nous avons découvert ensemble le langage de ce compositeur. Nous arrivons au moment où nous allons progressivement revisiter ces chefs-d'œuvre et ce sera le cas avec la Symphonie n° 4. »
Des mots comme « servir », « humilité », « famille » reviennent souvent quand Nézet-Séguin parle de l'OM, et ses rapports familiaux avec l'orchestre sont très forts. Montréal demeure un port d'attache pour le chef d'orchestre, même si sa carrière comprend de plus en plus de longs séjours aux États-Unis et en Europe. Son compagnon de longue date, Pierre Tourville, est l'altiste co-soliste de l'OM. Quelques semaines avant notre conversation, les musiciens ont décidé de sceller leur union en proposant à Nézet-Séguin un contrat à vie, ce qu'il a accepté. Cette décision n'est pas inédite – Karajan et le Philharmonique de Berlin avaient fait de même – mais cela reste peu courant. C'est révélateur de ce lien du sang entre le chef et ses troupes.
« Pendant les dix dernières années, avec mes engagements de plus en plus nombreux par ailleurs, il y avait cette question qui revenait éternellement, de l'extérieur comme de la part des musiciens, à savoir si j'allais partir à un moment donné », raconte Nézet-Séguin. « Je n'arrêtais pas de dire non, je me sens tellement bien ici. Cela a commencé comme un devoir pour moi il y a presque dix ans, quand je me disais que j'avais besoin de rendre la pareille à cet orchestre qui m'avait donné ma première chance, alors que j'étais seulement un bébé chef d'orchestre de 25 ans. »
« Maintenant que cela va mieux, je veux continuer à leur rendre ce qu'ils m'ont apporté », dit-il. « J'aime ma ville de Montréal, mon compagnon qui joue dans l'orchestre. Finalement, le travail artistique s'est avéré de plus en plus gratifiant, au fur et à mesure que l'orchestre gagnait en qualité et en confiance, et j'ai commencé à comprendre qu'il y avait quelque chose de vraiment unique dans le fait de rester vingt ans avec le même ensemble. Il y a des choses que je peux accomplir ici et que je ne peux faire nulle part ailleurs, parce que nous nous connaissons tellement bien. Peu à peu, j'ai commencé à penser que je ne voudrais jamais partir, et l'orchestre continuait de me dire qu'ils ne voulaient pas que je m'en aille. À un moment donné, nous nous sommes réunis et nous avons discuté : “Pourquoi se demander sans arrêt quand je vais partir ?” Un contrat tel que celui-ci, à vie, est une marque de confiance extrêmement émouvante pour moi et je pense que c'est émouvant pour eux. Mais nous restons comme tous les autres orchestres, ce qui signifie qu'il y a toujours des chefs invités, des projets, et j'ai mes autres vies à Philadelphie et avec le Met. Je pense simplement que c'est très beau et je veux que ce contrat soit un hommage à la valeur de la musique que nous faisons ensemble. »
Nézet-Séguin a opéré des choix stratégiques concernant les salles de concert de la tournée aux États-Unis, avec l'objectif de faire découvrir l'OM à un large éventail de mélomanes d'Amérique du Nord. Le chef s'est déjà produit seulement une fois à Chicago auparavant, avec le Rotterdam Philarmonic – ses débuts avec le Chicago Symphony Orchestra ont dû être annulés pour raisons de santé – donc venir avec l'OM au Symphonic Center rappelle un sentiment d'inachevé, selon le chef d'orchestre. Il fait l'éloge du Hill Auditorium, à Ann Arbor, « une salle extraordinaire, historique pour la musique classique dans le pays, et très importante pour la musique classique dans le Midwest. »
À New York et Philadelphie, l'OM jouera sur des scènes que Nézet-Séguin connaît intimement. Il est « Artiste en perspective » à Carnegie Hall, où il fait régulièrement le voyage avec l'orchestre du Met et celui de Philadelphie. À Philly, le concert aura lieu à Verizon Hall, qui a été la résidence du Philadelphia Orchestra pendant presque deux décennies.
« Cela a été un rêve pour moi d'emmener l'orchestre à Carnegie Hall, et Carnegie s'est montré très intéressé puisqu'il était déjà prévu que je sois Artiste en perspective cette saison », explique Nézet-Séguin. « Comme quand j'ai emmené l'OM à Rotterdam, où c'était très touchant de les voir jouer dans la salle de ma famille européenne, c'était très important pour moi de pouvoir les emmener dans ma famille de Philadelphie. C'était absolument crucial dès lors que nous nous mettions à organiser cette tournée aux États-Unis. Nous avons simplement voulu être certains de pouvoir jouer dans les meilleurs lieux, les meilleures institutions, les meilleures salles de concert. »
Le choix de DiDonato en tant que soliste invitée à été facile à faire. Le tandem travaille ensemble depuis des années et ils sont actuellement en tournée avec un Winterreise de Schubert qui s'arrêtera également à Carnegie Hall en décembre.
« C'est incroyable, la façon dont la vie fonctionne parfois », lâche Nézet-Séguin. « Nous avons toujours été très proches l'un de l'autre. En réalité, le Schubert est une idée qui a mis des années à se concrétiser. Elle voulait faire un récital avec moi, j'étais ravi et nous avons simplement réservé quelques dates. Mais cette tournée, avec ses étapes, était fixée sur ces dates... et bien sûr on avait besoin d'un ou une soliste. On a pensé à plusieurs personnes et à un moment donné je me souviens m'être dit que c'était un faux problème : il fallait que ce soit Joyce ! Elle fait partie de mes amis musiciens les plus proches. Nous nous sommes rencontrés la première fois quand elle est venue donner une soirée de gala à Montréal avec Renée Fleming, Matthew Polenzani et Diana Damrau. Vous pouvez imaginer à quel point c'était réussi. Je me suis dit qu'elle serait trop occupée mais elle s'est rendue disponible, et maintenant l'histoire est encore plus belle que ce que nous avions imaginé initialement. »
La tournée nord-américaine de l'OM arrive à la fin d'un automne déjà chargé pour Nézet-Séguin. Il a officié lors de l'ouverture de saison du Philadelphia Orchestra ainsi que pendant quatre semaines de concerts d'abonnement. Au Met, il a dirigé Turandot et il prépare une nouvelle production de Wozzeck. Il y a même un dimanche où il a donné Turandot au Met dans l'après-midi et une Symphonie n° 5 de Mahler à Philadelphie le soir. Juste avant la tournée de l'OM, il emmène ses Philadelphiens en voyage pendant dix jours à Taiwan, au Japon et en Corée du Sud.
L'homme semble allergique au repos ; il faut bien lui demander ce qu'est un jour de congé parfait pour lui : « Ce qui est vraiment parfait, c'est un jour entièrement consacré à mon corps, donc massage, spa, entraînement, marche ou jogging en extérieur. C'est ce que je fais d'habitude quand je peux. Mais le jour parfait n° 2, c'est quand je n'ai aucun travail qui m'attend au réveil et que je peux simplement essayer de vider ma boîte de réception. »
Nézet-Séguin n'a pas beaucoup de jours de congé dans son avenir immédiat. Tant pis pour sa boîte de réception. Et tant mieux pour les mélomanes du monde entier.
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Cet article a été sponsorisé par l'Orchestre Métropolitain de Montréal et traduit de l'anglais par Tristan Labouret.