Directeur musical engagé dans la création comme dans le répertoire, embrassant aussi bien l’ensemble vocal, l’ensemble instrumental, l’orchestre que l’opéra, Léo Warynski nous éclaire sur les différentes facettes de son métier à l’aune de ses multiples activités.
NM : Comment êtes-vous venu à la direction d’orchestre ?
LW : L’idée de la direction d’orchestre m’est venue assez tôt. Formé au chant et au violoncelle, je me suis dit que cette discipline était une sorte de synthèse idéale pour un musicien. Sur le plan artistique, on a devant nous ces merveilles que sont l’orchestre et les voix. Il y a aussi toute cette dimension de leadership, de travail avec un groupe. Enfin, il y a cet aspect intellectuel que je souhaitais cultiver en lien avec la formation littéraire que je menais à l’époque, ayant suivi un cursus en classe préparatoire.
Que retenez-vous de votre formation auprès de François-Xavier Roth au CNSMDP ?
La première chose qu’il m’a apprise, c’est cette exigence liée à la responsabilité du chef d’orchestre. On est face à des musiciens extrêmement bien formés. Il faut donc asseoir notre légitimité, notre autorité et notre compétence dans le travail produit. La deuxième chose, c’est un appétit pour tous les répertoires, que ce soit la création ou la musique ancienne. Il m’a aussi transmis ce goût pour l’entrepreneuriat, cette envie de former son ensemble et de choisir les musiciens avec lesquels travailler. Enfin, il m’a appris l’aspect très pragmatique du métier, notamment en m’engageant comme assistant sur certaines productions. La direction d’orchestre est un métier où l’expérience compte peut-être plus que tout. Savoir travailler avec un orchestre, entendre toutes ses voix, ce sont des choses qui ne peuvent s’apprendre qu’empiriquement.
Qu’avez-vous appris sur la manière de travailler avec les musiciens d’orchestre ?
Le chef doit savoir à chaque occasion le rôle qu’il doit avoir. Il doit pouvoir guider les musiciens, les tempérer, les rassurer. Ce rôle change au sein même d’un concert, selon que l’œuvre jouée est une symphonie que l’orchestre a déjà interprétée à plusieurs reprises ou une création, face à laquelle il sera sans repère. Pierre Cao, un autre maître que j’ai eu en direction, m’avait dit : « Tu sais Léo, si déjà tu ne les déranges pas, c’est déjà très bien… » (rires) J’aime beaucoup cette idée, parce qu’en fin de compte être chef, c’est aussi savoir se mettre entre parenthèses pour permettre aux musiciens d’être meilleurs et de s’exprimer davantage.
Vous dirigez le répertoire contemporain aussi bien à l’opéra, à l’orchestre, que dans des ensembles spécialisés et en chœur… Qu’est-ce qui vous plaît dans ce répertoire ?
Ce qui me stimule, c’est l’inattendu de chaque création. C’est aussi la rencontre avec de grandes personnalités comme Francesco Filidei ou Yann Robin, des artistes majeurs de notre époque qui écrivent l’histoire de la musique contemporaine. Il y a aussi ce sentiment de contribuer à faire que la musique ne soit pas un langage mort, mais dynamique. Dans le même temps, j’essaie de maintenir le contact avec le répertoire, notamment avec Les Métaboles, car je crois dans l’idée qu’un chef a besoin d’être nourri de tous les répertoires dans sa pratique.
Vous venez de sortir avec l’ensemble vocal Les Métaboles le CD The Angels, qui met à l’honneur 16 voix a cappella. Comment l’effectif vocal est-il déterminé ?
Les Métaboles sont un ensemble à géométrie variable. Le nombre de voix dépend des répertoires, mais aussi des questions économiques, ce qui est très trivial. Je regrette d’ailleurs que les questions économiques prennent parfois le pas sur les questions artistiques. Mais comme un chœur professionnel coûte cher, beaucoup de festivals ou de salles de concert hésitent. D’un point de vue artistique, j’aime trouver le nombre idéal de chanteurs par programme. Pour The Angels, 16 était le nombre idéal afin de trouver quelque chose de très équilibré, qui me permettait à la fois de faire du double chœur, mais aussi de valoriser le fait que les chanteurs des Métaboles sont à la fois des chanteurs d’ensemble avec un sens du collectif et des voix de solistes, avec chez certains des carrières de solistes. Et du point de vue de l’auditeur, il est très beau d’entendre à la fois une masse très homogène et de temps en temps un timbre qui ressort. C’est une variété qui peut faire penser à celle de l’orchestre.
Quelles sont les spécificités du travail a cappella ?
Il s’agit du même travail que celui du quatuor à cordes. Il y a une exigence maniaque, presque obsessionnelle de la justesse. Et à ce titre, il n’y a peut-être rien de plus difficile pour un chœur a cappella que de chanter à l’unisson, car il y a tellement peu à entendre que l’on entend tout : une respiration pas en place, une voyelle pas homogène. C’est une discipline très laborieuse, mais qui offre des récompenses extraordinaires.
Avec Les Métaboles, vous mêlez musiques anciennes et musiques modernes ; est-ce une philosophie de programmation que vous souhaiteriez proposer pour d’autres formations ?
C’est quelque chose que je souhaite faire et que je propose à chaque fois quand c’est possible. Ceci avec toujours l’idée que la création ne doit pas être programmée pour figurer dans le cahier des charges de l’orchestre afin que celui-ci ait sa subvention. Mon objectif, c’est que la création marque les gens. Je me souviens d’un concert où nous avions donné un programme de musique ancienne et une œuvre de Philippe Hersant. Tout le monde me parlait de l’œuvre contemporaine à la fin du concert ! Les auditeurs ne sont pas plus bêtes aujourd’hui que dans le passé. Mais c’est à nous, les chefs et les musiciens, de proposer des programmes qui fonctionnent et qui font que la création est au centre du programme.
Après plus de sept ans à la direction musicale de l’Ensemble Multilatérale, quel bilan tirez-vous de l’activité de cette formation ?
L’Ensemble Multilatérale fonctionne différemment des Métaboles car il s’agit avant tout d’un ensemble de solistes, un peu comme le modèle de l’Ensemble intercontemporain, avec de très fortes personnalités engagées corps et âme pour la création et l’avant-garde. Il s’agit donc pour moi plus de musique de chambre dirigée que de direction d’ensemble à proprement parler.
J’ai eu la chance de créer des œuvres qui ont marqué l’histoire de l’ensemble, et d’une certaine manière l’histoire de la musique contemporaine, à l’instar du Papillon noir de Yann Robin. Au fil du temps, nous avons développé un lien très fort, une connivence qui sont très importants pour moi, car la vie de chef n’est pas forcément facile. On peut se sentir seul dans son travail, à alterner entre des groupes différents. Or avoir son propre ensemble permet de créer un lien plus proche avec des musiciens que l’on revoit régulièrement. Cette dimension humaine dans la création artistique compte beaucoup pour moi.
Outre le travail avec des ensembles, vous abordez également le répertoire opératique. Quelles difficultés spécifiques cette forme pose-t-elle dans la direction ?
L’opéra est peut-être le genre le plus complet qui existe et je l’adore pour cette raison. Ayant suivi une formation littéraire, j’aime le verbe, les mots, la dramaturgie. Il reste qu’avec l’opéra, on n’est pas le seul maître à bord. On a devant nous une foule d’interlocuteurs que sont les chanteurs, l’orchestre, le metteur en scène, les costumiers, le régisseur, un univers incroyable où l’on est un petit artisan. Ce que j’apprécie également, c’est le temps mis à notre disposition. On est de plus en plus pris par le besoin d’aller très vite dans notre monde contemporain, où monter un programme en trois répétitions est monnaie courante. Or l’opéra nous laisse le temps de nous imprégner d’une œuvre, c’est quelque chose de très agréable.
Vous avez dirigé il y a peu Akhnaten de Glass à Nice. Quels défis avez-vous rencontrés ?
C’est une musique qui paraît facile, mais pose beaucoup de difficultés dans la réalisation. D’abord, il y a des reprises partout, donc on a vite fait d’en rater une et de se tromper ! (rires) Physiquement, cette musique demande un effort énorme pour les musiciens qui doivent constamment répéter, répéter, répéter. Elle demande aussi beaucoup de temps de pratique pour être bien interprétée. Philip Glass a son propre orchestre qui ne joue que cela. C’est moins évident avec un orchestre qui n’a pas l’habitude d’en jouer. Et puis il faut trouver une façon d’alléger les textures, le côté motorique de cette musique qui ne doit pas tomber dans quelque chose de mécanique, mais rester le plus humain possible. Enfin, cette musique n’est pas évidente parce que Glass a une pensée qui ne cherche pas à mettre en musique le texte, mais au contraire à distinguer les deux. Avec lui, la dramaturgie se situe ailleurs, dans le rituel, dans une certaine abstraction.
Qu’en est-il de Britten, dont vous répétez actuellement Le Viol de Lucrèce à l’Opéra de Paris ?
C’est un compositeur que j’admire beaucoup. J’ai toujours aimé chez lui l’intelligence de sa musique vocale. Il sélectionne ses textes admirablement et avec une telle sûreté ! Ce qu’il choisit de Rimbaud pour son cycle des Illuminations est brillant, alors même le français n’est pas sa langue natale. C’est comme un commentaire de texte par la musique. C’est quelque chose que l’on retrouve pour Le Viol de Lucrèce. Le livret n’est pas forcément évident pour un auditeur du XXIe siècle avec ses références chrétiennes. Mais ce qui reste génial, c’est la manière avec laquelle Britten note chaque phrase musicale avec précision en termes de nuances, de phrasés, de hauteurs, de sorte que l’on comprend très bien le sous-texte psychologique de chaque personnage lorsqu’il chante. Et la manière avec laquelle tout s’enchaîne de manière très fluide est absolument fascinante.
Quels sont vos souhaits pour l’avenir ?
J’aimerais pouvoir être à la tête d’un orchestre institutionnel qui me permettrait de faire de l’opéra et du répertoire. Toutes les facettes de mon activité seraient ainsi comblées, avec un chœur, Les Métaboles, pour le baroque et le contemporain, l’Ensemble Multilatérale pour la création, et cet orchestre pour l’opéra et le répertoire. C’est un idéal, mais je vais travailler pour que cela advienne. Je serais le plus heureux des chefs !