Consacrée Talent Adami Classique il y a quelques mois, Claire Antoine vient tout juste d'intégrer le Dutch National Opera Studio. Et pourtant... Rien ne prédisposait la future soprano à la musique en général et au chant en particulier : même si, toute petite, elle souhaitait absolument faire de la musique, c’est d’abord… du judo qu’on lui a proposé en tant qu’activité extra-scolaire ! Tout simplement parce que Claire Antoine est originaire d’une région (la Creuse) où l’accessibilité à la culture n’est pas toujours très facile… et où les concerts lyriques, sans être inexistants, sont assez rares. C’est adolescente, alors qu’elle cherchait par elle-même « son » univers musical, que Claire Antoine tombe par hasard sur des valses de Strauss et une anthologie de Maria Callas. C’est un coup de foudre : sa fascination pour la voix et l’opéra prend progressivement forme, jusqu’à devenir une passion qui ne la quittera plus. Claire chante secrètement en karaoké sur la chaîne familiale, et un jour, miraculeusement, sa voix « sort » naturellement, avec toute sa puissance et son vibrato… « Je me suis même fait un peu peur : j’ai cru un instant que j’avais trop forcé et que je m’étais cassé la voix ! » Devant la place grandissante que prend la musique dans sa vie, sa mère l’incite « à en faire quelque chose » et l’inscrit au conservatoire de Guéret, dans un premier temps contre le gré de sa fille, d’un naturel timide et réservé… Mais les choses, alors, s’enchaînent rapidement : c’est décidé, Claire sera chanteuse !
La jeune fille peaufine sa formation artistique et musicale lors de son passage dans les conservatoires de Toulouse puis de Lyon, et grâce également à quelques rencontres absolument déterminantes : avant tout Sylvie Leroy et Hélène Lucas, pianistes et cheffes de chant, mais aussi Jacques Schwarz, avec qui il y a eu « comme un coup de foudre artistique » : ce professeur – qui fut aussi une basse réputée – a su partir du potentiel vocal de la chanteuse pour la conduire progressivement vers la maîtrise technique de l’instrument et celle de l’interprétation. « Il m’a vraiment construite, sur tous les plans : musical, vocal et artistique ». Au-delà de ces rencontres, il y a aussi quelques grandes voix qui fascinent la chanteuse et qui constituent pour elle des sortes d’idéaux vers lesquels elle s’efforce de tendre : Christa Ludwig, « une mezzo mais à l’ambitus très large qui lui a permis quelques incursions dans le répertoire de soprano ; moi-même je me considérais encore comme mezzo jusqu’à il n’y a pas très longtemps, avant qu’on ne me dise que j’étais en fait soprano ! » Ou encore José van Dam ou Régine Crespin – « quel naturel chez ces deux artistes ! On a l’impression qu’ils parlent quand ils chantent… » – pour la beauté du timbre, la rigueur stylistique, l’attention accordée aux mots. « Je suis admirative de nombreux chanteurs de ‶l’ancienne époque″, disons de l’après-guerre jusqu’aux années 80. C’est une période où tout allait moins vite, où l’on prenait plus le temps de se former, de progresser, de se construire solidement. Aujourd’hui, le monde de l’opéra peut être assez stressant pour un jeune chanteur, à qui on demande parfois d’être parfaitement prêt à 25 ou 26 ans ! L’après-guerre, c’était aussi une époque où l’erreur, l’imperfection avaient encore leur place. Cela laisse songeur aujourd’hui, à l’heure où les logiciels de correction de type Auto-Tune nous habituent à une forme de perfection peu naturelle et déshumanisée… » Précisément, c’est l’humain qui lui importe avant tout dans le métier de chanteuse : « Or pour préserver l’humain, il faut réapprendre à faire le deuil d’une perfection, plus ou moins aseptisée, que la société nous impose… »
Deux événements ont tout récemment donné un bel essor à la carrière encore toute jeune de Claire Antoine. Le premier est sa nomination dans le cadre des Révélations Classiques Adami, qui distinguent chaque année, depuis plus de vingt ans, huit artistes classiques (quatre lyriques et quatre instrumentistes). Ce label reconnu est particulièrement valorisant pour de jeunes artistes encore à l’aube de leur carrière, et de nombreux chanteurs français dont la carrière est maintenant bien lancée (Ambroisine Bré, Fabien Hyon, Sahy Ratia, Éléonore Pancrazi, Jérôme Boutillier, Marie Perbost…) sont d’ailleurs d’anciens « Talents Adami ». Le second est la toute récente intégration du Dutch National Opera Studio d’Amsterdam, « une structure présidée par Rosemary Joshua, un peu équivalente à celle de l’Académie de l’Opéra de Paris, si ce n’est que nous ne sommes que cinq chanteurs, nous sommes donc particulièrement choyés ! Le fait que l’Opera Studio ne soit pas une grande usine permet un accompagnement quasi sur mesure, c’est très appréciable. Nous n’y sommes plus considérés comme des étudiants, mais comme de jeunes artistes qui peaufinent leur pratique, l’idée étant de préparer efficacement notre insertion professionnelle : le but de l’Opera Studio n’est pas de nous garder au DNO, mais de nous pousser et de nous donner une visibilité dans le milieu lyrique ». Le Dutch National Opera Studio offre ainsi à ses pensionnaires la possibilité de se produire en concert (un concert russe a déjà eu lieu ; un programme « Lieder et mélodies » est par ailleurs prévu au printemps) mais aussi de participer à certaines productions lyriques : c’est ainsi que Claire Antoine vient tout juste de chanter, sous la direction de Lorenzo Viotti, le rôle de la Première Servante dans Le Nain de Zemlinsky, un spectacle proposé par le Dutch National Opera en septembre dernier.
En juillet dernier, au Festival du Haut-Limousin où les Talents Adami Classiques étaient en résidence, Claire Antoine a interprété le « Signore, ascolta » de Liù et le « Il est doux, il est bon » de Salomé dans Hérodiade de Massenet ; lors d’un récent passage sur les ondes de France Musique, c’est le « O mio babbino caro » de Gianni Schicchi et le « Porgi, amor » de la Comtesse des Noces de Figaro que Claire Antoine a choisi d’interpréter : nul doute, c’est bien à une voix de soprano lyrique que nous avons affaire, et lorsqu’on interroge la chanteuse sur ses possibles futurs rôles – ou du moins ceux qui la font aujourd’hui rêver –, ce sont précisément ces emplois de sopranos amples, souples et lumineux qu’elle cite tout d’abord : certains Berlioz ou Massenet, certains Wagner « pas trop lourds et bien sûr dans un futur plus lointain : Elsa, Elisabeth… » (Régine Crespin n’est pas loin !) Lady Macbeth également, un rôle qu’aborda d’ailleurs Christa Ludwig. Mais la chanteuse, très sensible à la poésie, ne cache pas non plus son désir de pratiquer la mélodie et le lied, un genre qui la fascine dans le travail qu’il permet, plus encore sans doute qu’à l’opéra, sur la fusion entre le mot et la musique et la façon dont l’un éclaire et complète l’autre. « J’adore la mélodie française… Mais je suis également extrêmement attirée par les lieder de Mahler ou Strauss et j’adorerais pouvoir les interpréter un jour… »
Quels que soient l’avenir et le répertoire qui attendent la jeune chanteuse, une chose est certaine : en choisissant de ne pas renoncer à ce qui, à l’origine, était une passion d’adolescente, Claire Antoine ne s’est pas trompée. « Je m’émerveille chaque jour d’avoir pu faire mon métier de ma passion… C’est une chance et un bonheur incroyables ! » Un bonheur que le public amstellodamien pourra bientôt partager avec elle… en attendant l’essor international de cette jeune carrière, qui ne saurait tarder !
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Cet article a été sponsorisé par l'Opéra national des Pays-Bas.
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