Rencontre avec la jeune et très prometteuse percussionniste française Adélaïde Ferrière qui revient sur son parcours, ses choix de répertoire et un début de carrière florissant comme soliste et chambriste des ensembles K/D/M et Xenakis.

Adélaïde Ferrière
© Cécile Lhuillier Gorce

Nicolas Mathieu : Vous avez appris le piano et les percussions dans un même mouvement, avant de vous spécialiser dans les percussions une fois entrée au CNSMD de Paris. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Adélaïde Ferrière : Par attrait pour la richesse de ces instruments ! On peut passer d’un instrument à l’autre, jouer sur la diversité des timbres et des sonorités. Aussi, j’avais eu un coup de cœur pour le marimba. J’avais envie de développer cet instrument comparable au piano, s’agissant du clavier expressif des percussions. Ce qui m’a plu aussi, c’est le répertoire de cet instrument que j’aime beaucoup et qui est encore à construire.

Le marimba a en effet une place privilégiée dans votre travail…

Il s’agit de l’un des seuls instruments des percussions avec lequel on peut jouer de la musique classique, puisqu’il permet d’adapter des pièces dans leur dimension harmonique et mélodique. Avec le répertoire contemporain au contraire, par exemple dans la musique de Xenakis, on aura affaire à des œuvres qui visent plutôt l’imitation des forces brutes de la nature, des cataclysmes, avec tout un panel d’instruments. Enfin, dans l’orchestre, cet instrumentarium va pouvoir, en plus de son rôle rythmique, colorer, illustrer, apporter des dimensions particulières aux œuvres si l’on pense au glockenspiel ou au triangle pour l’évocation de la féérie, mais aussi des instruments traditionnels comme les castagnettes pour suggérer l’Espagne. Certains compositeurs contemporains sont également allés chercher des sonorités extra européennes dans leur répertoire.

Adélaïde Ferrière
© Jean-Philippe Leclair

Comment en vient-on à imaginer une carrière de soliste à la percussion ?

Mon envie, c’est que la percussion soit davantage reconnue. Beaucoup de percussionnistes partagent cette même envie de faire avancer l’instrument, mais aussi l’image qu’on peut en avoir. L'une des premières grandes figures de la percussion était la marimbiste japonaise Keiko Abe, suivie plus tard par Evelyn Glennie, Martin Grubinger… Ces artistes sont des figures mondiales de cet instrument et les premiers précurseurs de la percussion soliste. Et aujourd’hui, nous sommes de plus en plus nombreux sur scène.

Comment appréhende-t-on le son et l’espace comme percussionniste ?

La percussion a un volume sonore supérieur à la moyenne des autres instruments. Cette force sonore est à prendre en compte, mais il ne faut pas réduire ces instruments à cela. On peut aller y chercher une grande finesse de timbre et dans les modes de jeu. Le marimba permet une échelle de nuances parfois insoupçonnable. Et c’est valable pour tous les instruments.

Au niveau de l’espace, il y a beaucoup d’œuvres pour percussions ou ensembles de percussions qui ont été pensées pour être spatialisées, car on peut créer une mise en scène rien qu’avec l’installation de ces instruments. On retrouve cela chez Xenakis comme chez d’autres compositeurs, avec un public entouré par des percussions pour créer un effet où le son circule tout autour lui.

Comment travaille-t-on une pièce comme Rebonds B de Xenakis ?

Avant même de travailler l’œuvre, le percussionniste doit installer ses instruments, et ce n’est pas si simple que cela. Parfois, on a des schémas de disposition préétablis, parfois non. Donc il faut déjà mener un travail de recherche à ce niveau-là, et se demander quels instruments mobiliser. Pour Rebonds B, l’instrumentarium est défini par le compositeur, sans l’être précisément. On a une grosse caisse, un tom basse, une conga et des bongos. Mais on est libre de choisir l’accordage des instruments, la taille du tom basse, les woodblocks ou les baguettes que l’on va utiliser… Il y a énormément de paramètres en jeu. Généralement, on part d’une idée de base que l’on affine au fur et à mesure du travail de la pièce. Rebonds B mobilise un instrumentarium assez simple pour nous, s’agissant des instruments standards des percussions. Aussi, c’est un peu un tube pour nous ! Beaucoup de versions ont été établies et on peut s’en inspirer pour l’installation ou le choix des baguettes, par exemple. Mais pour certaines pièces, on peut avoir des instruments à trouver ou à construire, des changements de baguettes à décider, ou encore penser une disposition particulière des partitions par rapport à l'installation des percussions…

Vous réalisez par ailleurs des transcriptions pour le marimba, notamment Asturias d’Albeniz ou Rhapsody in Blue de Gershwin. Comment choisissez-vous les œuvres que vous transcrivez ?

On transcrit beaucoup de pièces de la musique baroque, car l’écriture de cette musique s’y prête très bien, étant assez claire sur le plan de l'écriture harmonique, comme les Nouvelles Suites de Rameau. Il reste que lorsqu’on passe d’une version pour piano à une transcription pour marimba, on passe de dix doigts à quatre baguettes. Donc la question à se poser, c’est de savoir si cette opération est réalisable. Ensuite, il faut toujours transcrire dans le respect de l’idée première de l’œuvre, sans la dénaturer. Toutes les œuvres rythmiques comme Asturias fonctionnent bien, alors qu’une sonate de Chopin est au contraire bien trop virtuose pour cet exercice. D’une manière générale, mes transcriptions naissent de coups de cœur pour les œuvres.

Vous avez réalisé plusieurs captations de vos transcriptions en-dehors des salles de concert, dans des sortes de clips. Pourquoi compléter le son avec cet imaginaire visuel ? 

J’aime beaucoup travailler avec la vidéo, et trouver un lien entre l’œuvre jouée et l’image comme les plans de New York pour la Rhapsody in Blue de Gershwin. Ensuite, on vit dans un monde qui nous oblige de plus en plus à développer ce type de contenus pour rester en lien avec le public et chercher à toucher de nouveaux spectateurs. La percussion n’étant pas encore très connue, l’image permet qu’une audience plus large s’y intéresse. Elle permet aussi de rendre compte du caractère imposant de l’instrument, mais aussi de notre gestique, plus importante que celle d’autres musiciens.

À côté de la transcription, la création occupe une place déterminante dans votre travail, c'est le cas notamment dans votre premier CD intitulé « Contemporary ». Que pouvez-vous explorer avec ce répertoire ?

Ce répertoire-là a été écrit dans la lignée des prémices du répertoire soliste. On a eu Varèse avec Ionisation dans les années 1930, le Concerto pour marimba et vibraphone de Milhaud en 1947… Puis progressivement, il y a eu Les Percussions de Strasbourg, le Trio Le Cercle, ces grands ensembles qui étaient en collaboration avec les grands compositeurs de l’époque. C’est dans cette lignée que le programme du disque a été conçu. Les œuvres qui le composent sont notre répertoire phare au CNSMD de Paris, parallèlement au répertoire d’orchestre. On travaille finalement très peu de transcriptions ! C’était important de mettre en valeur ce répertoire contemporain, avec des pièces qui développent une virtuosité et un langage que l’on n’avait pas avant. L’interprète pousse ses limites musicales et techniques, que ce soit chez Xenakis, mais aussi chez Mantovani avec une œuvre comme Moi Jeu. On peut repousser les possibilités des instruments avec ces pièces-là, et à ce titre on a fait un pas de géant ces dernières décennies grâce à elles.

Adélaïde Ferrière
© Cécile Lhuillier Gorce

Comment jonglez-vous entre vos activités de soliste et de chambriste au sein des trios K/D/M et Xenakis ?

J’adore mener ces activités en parallèle, qui sont très complémentaires. Dans les deux ensembles, on n’a pas forcément le même rôle ni le même projet. D’une manière générale, on ne pense pas le groupe comme l’activité principale de chacun des instrumentistes, qui tournerait un programme par an et qui irait chercher la quantité de concerts. On va travailler différents projets précis, notamment de création, au cours d’une saison. C’est très intéressant de pouvoir profiter de cette émulation et de ce partage en musique de chambre. Je suis aussi amenée à jouer avec d’autres instrumentistes, généralement du répertoire classique, mais cela reste occasionnel.

Pour finir, une œuvre de musique de chambre pour percussions à recommander à nos lecteurs ?

Six marimbas de Steve Reich. On est pris dans un tourbillon de rythmes et d’harmonie pendant vingt minutes, c’est superbe ! Mais je recommanderais toutes les œuvres de Steve Reich, lui qui, pour le coup, a beaucoup écrit pour le marimba !