À dix minutes du début de ce concert de l'Orchestre de Paris, la grande salle de la Philharmonie est clairsemée d'un public néanmoins également réparti du parterre aux balcons... Puis d'un coup, le public arrive et la salle se remplit bellement pour écouter Wu Xing (« Les Cinq Éléments ») de Qigang Chen, le Concerto pour deux pianos de Mozart et la Symphonie « du Nouveau Monde » d'Anton Dvořák. Un programme dont on ne dira pas qu'il est renversant d'originalité, mais plutôt même qu'il est paresseux s'il ne s'accompagne pas d'une réflexion stylistique.
En ouverture, donc, une très belle pièce d'une petite douzaine de minutes, commandée par la Direction de la musique de Radio France et Anne Montaron, productrice d'Alla Breve sur France Musique. Cette émission présente des œuvres en création dont le cahier des charges est d'être constituées de petits mouvements n'excédant pas quelques minutes ; ils sont présentés chaque soir sur l'antenne, avant d'être regroupés et l'œuvre donnée dans son intégralité. Quantité de compositeurs, issus de contrées et d'esthétiques fort diverses, ont prêté leur concours à cette intelligente façon de faire entrer les auditeurs dans une œuvre qui leur est expliquée par son compositeur et la productrice de cette émission, honneur du service public qui a constitué ainsi un fabuleux panorama de la musique d'un aujourd'hui en mouvement à travers des dizaines et des dizaines de monographies sonores.
Les Cinq Éléments du compositeur français Qigang Chen (né à Shanghai en 1951) que l'Orchestre de Paris donne ce soir datent de la toute fin du XXe siècle. Rien ne peut le laisser supposer : l'œuvre aurait pu être composée hier ou vingt ans avant qu'elle ne le fut. Non qu'elle use d'un vocabulaire et d'un langage passéistes ou passe-partout, mais elle témoigne d'un métier raffiné, d'une façon remarquable de penser timbres et hauteurs, timbres et espace, timbres et mouvement. Elle s'inscrit dans une tradition somme toute française faite de précision ravélo-boulézienne, d'atmosphère harmonique vaguement modale et d'une virtuosité discrète mais réelle. Bref, cette musique sonne admirablement, est pleine de surprises, est colorée mais son dessin est net. Il semble qu'elle était bien dirigée par Xu Zhong, un Chinois de Paris, chef et pianiste qui a dédié le concert de ce soir à la mémoire de son ami le pianiste Nicholas Angelich mort le 18 avril 2022 – celui-ci devait participer à cette série de concerts de l'Orchestre de Paris et le programme de salle lui rend un bel hommage écrit par notre confrère Rémy Louis.
Vient ensuite le Concerto pour deux pianos de Mozart. Il part assez mal, mou et pas net, mais rapidement la formation trouve ses marques, bien que manquent ici transparence, vivacité sans lourdeur, allégresse. Même réduit, l'orchestre paraît encore trop grand, faute d'être allégé par une direction qui serait plus sur le qui-vive et des cordes plus ciselées. Les pianos entrent. D'abord Nathalia Milstein, impeccable, vive, spirituelle avec des doigts qui courent mais prennent le temps de chanter, certes d'une voix un peu haut perchée car sa sonorité est pointue. Puis Jieni Wan dont le son est plus rond, mais aussi plus gros et moins éloquent, bien que parfois elle fasse des petits ritardandos expressifs que l'on remarque, hélas ! Mais bon, que dans ce concerto deux jeux différents se répondent est idéal : il s'agit de converser de façon spirituelle et le clin d'œil n'est pas de trop. On oublie en revanche l'orchestre qui s'en tient à un Mozart conventionnel...
La Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvořák est aussi célèbre qu'elle est difficile à réussir. Et ce soir, l'esprit n'y est pas. La lettre non plus. Faut-il vraiment que tous les musiciens de l'Orchestre de Paris soient sur le plateau ? S'ils le sont, il faut un chef qui sache alléger et ce soir ce n'est pas le cas : le pianissimo et même le piano sont rares, le mezzo forte et le fortissimo lourd, gras, tonitruant dominent. Il faut aussi un chef qui sache équilibrer les pupitres et les masses, se mettre à l'écoute, qui sache aller de l'avant sans être trop vertical, trop pesant. Rien de tout cela : tout manque de précision, de direction dans le propos. La gestique du chef dérange même, car elle est comme déconcentrée, il bouge beaucoup et fait des grands gestes enthousiastes qui éparpillent plus qu'ils ne discriminent. Mais l'Orchestre de Paris – et c'est dans un soir comme celui-ci qu'on se rend compte de la révolution copernicienne qui s'est opérée collectivement dans ses rangs ces vingt dernières années – joue du mieux possible pour faire de la musique.