Le Théâtre des Champs-Élysées a accueilli jeudi dernier le Concert de la Loge, en compagnie des chanteurs Philippe Jaroussky, Emőke Baráth, Lucile Richardot et Emiliano Gonzalez Toro pour une sublime soirée dédiée essentiellement au répertoire lyrique de Vivaldi. Répertoire dont ces artistes sont loin d’être novices et c'est bien visible : leur interprétation a touché des sommets impressionnants.

Julien Chauvin
© Franck Juery

La sinfonia de l’Olimpiade qui ouvre la soirée donne le ton de ce qui suivra : on est ébloui par l’investissement si passionné des musiciens et leur synergie incroyable ! On salue sur ce point la direction de Julien Chauvin : sous sa battue ou derrière son violon, l’orchestre respire la joie et la passion de jouer ensemble, nous enchantant d’une belle palette de couleurs tout au long de la soirée. Les attaques nerveuses des archets, leurs élans rapides et saccadés créent une sorte de danse endiablée, nous embarquent dans un tourbillon qui ne cesse de se reformer dès qu’on a eu l’impression qu’il se dissout, suivant de remarquables contrastes de nuances piano / forte. Et quelle virtuosité du violon de Julien Chauvin, solaire et souverain !

Avec le morceau suivant, « Non tempesta che l’alberi sfronda » (extrait de La Fida ninfa), on plonge dans la furore vivaldienne. Si l’orchestre se montre remarquable cette fois-ci encore, le ténor Emiliano Gonzalez Toro, malgré un bel investissement, une vivacité dans ses attaques, est desservi par des problèmes de projection, ce qui impacte inévitablement la réussite de cet air, qui réclame une grande puissance dramatique. Les mêmes problèmes persistent dans « Il piacer della vendetta » (Il Giustino) – à l’exception de la fin, qui nous surprend par sa brillance ! Quel frisson d’entendre ensuite le ténor dans le chant du roi Gualterio (« Tu vorresti col tuo pianto », extrait de La Griselda) qu’il interprète avec une sensibilité extrêmement touchante, dépourvue de toute sentimentalité inutile.

Un autre moment de grâce de la soirée est le célèbre « Vedrò con mio diletto » (Il Giustino), dans l’interprétation exquise de Philippe Jaroussky. Cet air reste fascinant déjà par cette couche sonore sombre des cordes en croches répétées, qui hante tout le morceau, évoquant une avancée à pas lourds, traînant vers l’issue inévitable. L’exécution de l’orchestre est d’une sobriété bienvenue. Sur cet écrin sonore, la voix de Jaroussky se pose avec une telle simplicité, grâce et aisance ! Le contre-ténor ne se montre pas moins magistral dans « Gelido in ogni vena » (Farnace), d’un dramatisme poignant. Sa voix prend des accents bouleversants pour exprimer l’atmosphère hivernale qui gouverne le cœur de Farnace, devant l’horreur de son acte.

Emiliano Gonzalez Toro, Emőke Baráth, Lucile Richardot et Philippe Jaroussky
© Michel Novak / Szofia Raffay / Igor Studio / Simon Fowler

La soprano hongroise Emőke Baráth est quant à elle dotée d’une sensibilité musicale capable d’épouser à la fois la rage (« Armatae face et anguibus », extrait de Juditha triumphans), la désolation ou le paroxysme de la douleur (« Alma oppressa da sorte crudele », extrait de La Fida ninfa ). Mais c’est surtout son interprétation de « Vede orgogliosa l’onda » (La Griselda) qui se révèle totalement désarmante. L’entente avec l’orchestre est magistrale et cet air respire à tous les niveaux une élégance à couper le souffle (en commençant par l’entrée majestueuse des cordes). Et comment résister à cette voix si chaleureuse et vibrante de la soprano, gracieuse à souhait, magnifiée par un timbre équilibré et une diction irréprochable ?  

Lucile Richardot impressionne elle aussi dans « Sovvente il sole » (Andromeda liberata). Malgré une émission moins assurée dans le registre grave, on est sous le charme de sa voix pulpeuse et profonde, qui enveloppe la salle avec une aisance admirable. Un silence religieux s’y installe pour recevoir le chant de cette mezzo-soprano dont l’économie gestuelle renforce l’effet de totale concentration. On peut ainsi recevoir tous les délices de son splendide dialogue avec le violon de Julien Chauvin, encore une fois brillant de virtuosité ! On est, en revanche, plus réservé par rapport à son interprétation de « Frema pur » (Ottone in villa), où le côté terrifiant prend trop d’ampleur, laissant peu de place à la tendresse si essentielle dans cet air. Sa furore trouve cependant toute sa justesse dans l’air de bravoure « Come l’onda con voragine orrenda e profonda » (Orlando furioso), où les tourments du cœur sont associés aux déferlements des éléments dans le milieu marin.

Enfin, quel sublime moment que de retrouver les quatre chanteurs réunis pour « Aura placide e serene » (La Verità in cimento), qui conclut la soirée sur un sentiment durable d’apaisement et bienveillance, après une riche traversée des nuances de l’âme lyrique vivaldienne !

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