On s’attendait à un spectacle d’art total : « une sélection de lieder de Beethoven et de Schubert, arrangés par la jeune compositrice franco-espagnole Clara Olivares, pour un spectacle “Père et fils” réunissant chorégraphie, théâtre et musique jouée et chantée » annonce encore et toujours Philharmonie Live. Force est de constater que le projet a bien changé et que cette présentation mériterait une mise à jour. De théâtre il n’y a pas ou si peu, la chorégraphie n’intervient qu'épisodiquement et seul un lied est « arrangé » par Clara Olivares – et encore, il s’agit d’une orchestration efficace mais impersonnelle, qui ne mérite pas qu’on distingue la compositrice des travaux de Max Reger, Johannes Brahms et Anton Webern présentés dans le même programme.
Ce cafouillis n’empêche pas la soirée d’être musicalement très aboutie, livrée dans une captation de grande qualité (lumières, vidéo, son). Christoph et Julian Prégardien forment un duo bouleversant dans la pureté des harmonies et la gémellité des inflexions (Der Vater mit dem Kind, Im Abdenrot). Erlkönig orchestré par Max Reger acquiert ainsi une puissance dramaturgique rare. Quand ils évoluent chacun de leur côté, les deux chanteurs se démarquent cependant sensiblement, Prégardien Senior incarnant la voix poétique avec une science du récit et un sens de l’intonation hors concours. Prégardien Junior souffre parfois de la comparaison, poussant des aigus pas toujours maîtrisés (Meine Seele ist erschüttert) malgré une sensibilité à donner la chair de poule (Der Wegweiser).
La performance musicale reste formidable à plus d’un titre, les Prégardien étant superbement secondés par un Orchestre de chambre de Paris débordant de vitalité, à l’image de son directeur musical Lars Vogt. Servis par des cordes intenses et des vents grandioses, Schubert est idéalement palpitant (Erlkönig) et Beethoven ne manque pas d’éclat (Les Créatures de Prométhée, Coriolan). Si la prestation orchestrale est accomplie, le chef manque cependant parfois de précision dans ses nombreuses inspirations, ses inflexions de tempo perturbant par exemple les premiers pas de Coriolan au lieu d’ajouter en éloquence. Quand il passe derrière le piano, en revanche, Lars Vogt ne suscite plus la moindre réserve : son écoute totale, son toucher multiforme créent des timbres et des atmosphères qui n’ont rien à envier à la richesse symphonique.
On restera plus partagé concernant la chorégraphie de Thierry Thieû Niang. Pleine de vie et de lumière dans Les Créatures de Prométhée, magnifique de douceur dans Le Voyage d’hiver (Der Wegweiser), elle plombe en revanche complètement la dramaturgie si forte de l’ouverture de Coriolan, les danseurs peinant à suivre une musique taillée au cordeau.
De manière générale, les concepts du spectacle restent obscurs pour qui ne serait pas bilingue ou au moins initié aux œuvres programmées, l’absence de sous-titres rendant impossible la compréhension des textes (et sous-textes) schubertiens. Si les spectateurs français de Philharmonie Live et Arte Concert ne font pas l’effort de se renseigner par eux-mêmes (le programme de salle ne propose lui-même ni les textes ni leur traduction), ils pourront toujours se contenter d’apprécier la beauté sonore d'une anthologie intéressante, servie par d’excellents musiciens. Au vu des promesses initiales du programme, on était en droit d’en attendre davantage.