On ne remerciera jamais assez Bozar et ses programmateurs d’avoir convié, dans le cadre d’un Festival Rachmaninov tenu sur quatre jours et marquant le 150e anniversaire de la naissance du compositeur, le fabuleux Chœur de la Radio Lettone à se produire dans les Vêpres de 1915, œuvre aussi magnifique que rarement entendue chez nous. C’est un public nombreux (dont un fort contingent de mélomanes lettons) qui s'est pressé dans la grande salle Henry Le Bœuf pour applaudir un des meilleurs ensemble vocaux de la planète. Formation de chambre comptant 24 membres (six chanteurs par voix), les invités baltes avaient également amené dans leurs bagages deux œuvres, toutes les deux de 2006, dues aux compositeurs lettons les plus réputés du moment, Ēriks Ešenvalds et Pēteris Vasks. 

Le Chœur de la Radio Lettone
© Daina Geidmane

C’est par A Drop in the Ocean d'Ešenvalds, spécialiste reconnu du genre, que les visiteurs venus de Riga entament la soirée. Cette brève composition – dont le texte débute par le « Notre Père » en latin suivi de suppliques au Seigneur et d’une louange à Jésus en anglais – est inspirée d’une citation de Mère Theresa affirmant que tout ce qu’elle faisait n’était qu’« une goutte dans l’océan ». La partition exige des exécutants la maîtrise d’une vaste gamme de techniques : sifflements, longues notes tenues des basses, sopranos brodant de belles lignes mélodiques, harmonies difficiles. 

Composée sur un texte du poète letton Māris Čaklais, Mūsu māšu vārdi (« Les noms de nos mères ») de Pēteris Vasks est une pièce très prenante écrite dans le style généralement lumineux, doux et un peu planant – quoique contrastant avec des épisodes plus intenses, voire une espèce de houle vocale – du réputé compositeur letton. La phénoménale sûreté technique de la phalange lettone est exceptionnelle : la beauté et l’équilibre des voix, le vibrato toujours contrôlé, l’équilibre parfait des différents pupitres sont également admirables, tout comme l’est la prestation du chef Sigvards Kļava dont l’apparence rigoureuse ne doit pas tromper. Si sa direction refuse tous les effets faciles, elle est toujours remarquablement juste, alternant une souple façon de modeler la mélodie de la main droite avec une battue plus ample dans les passages homorythmiques. 

Mais c’est bien sûr dans les Vêpres de Rachmaninov que le chœur letton était attendu. Ici, c’est à nouveau la transparence et la précision des chanteurs qui impressionnent. On relève de subtiles différences par rapport à la tradition russe, à commencer par une couleur vocale nettement moins typée et une émotion fortement intériorisée plutôt que passionnément exprimée. Si les basses chantent aisément toutes les notes (y compris les plus graves), elles n’ont pas ce côté marmoréen voire sépulcral de la tradition orthodoxe. La même chose vaut pour les ténors par ailleurs irréprochables, mais sans ce caractère éperdu qu’on pourrait attendre dans les beaux solos écrits par le compositeur. De même, les altos n’ont pas le timbre charnu et vibrant de leurs collègues russes. De façon générale, c’est une version merveilleusement sereine de ce chef-d’œuvre que donnent Sigvards Kļava et le Chœur de la Radio Lettone, et c’est avant tout la confiance du croyant qui s’exprime ici dans l’affirmation d’une foi tranquille et apaisée. Tout est ici magnifiquement sculpté et baigné d’une rayonnante clarté plutôt que d’un sombre mystère. On n’oubliera pas de sitôt cette façon des interprètes d’effacer la barre de mesure du « Lumière paisible », la subtile montée en tension dans le « Nunc dimittis », le majestueux « Tu es béni seigneur » ou la joie lumineuse de la « Louange à la Mère de Dieu » qui conclut l’œuvre.

Chaleureusement applaudis, le chœur et son chef accordèrent en bis la brève et touchante Prière pour l’Ukraine de Valentin Silvestrov.

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