Quinze ans après la création réussie de la mise en scène de Nicolas Joël, Tristan et Isolde revient au Théâtre du Capitole avec certes le même cadre, mais également une nouvelle distribution – comprenant plusieurs prises de rôle. Après Rusalka et La Bohème, l’institution affiche à nouveau une volonté performative forte pour cette saison, le défi résidant ici dans la longueur de l’œuvre qui peut aisément basculer vers l'ennui si tous les éléments ne sont pas réunis.

Tristan et Isolde au Théâtre du Capitole de Toulouse
© Mirco Magliocca

Premier élément : la mise en scène de Nicolas Joël, dont la reprise est assurée par Émilie Delbée. Le sol formé de trois panneaux mouvants symbolise habilement un navire voguant sur les flots au premier et dernier acte. Tout se joue sur la proue : conspiration, ingestion du philtre, expiation et folie sont à la pointe de la scène. Ce mouvement continu réalise un bel écho de la musique de Wagner. Le paysage de fond et la lune du premier acte se meuvent de façon imperceptible, comme la progression des leitmotive. Les lumières de Vinicio Cheli participent aussi de cette évolution lente, devenant d’ailleurs quasiment les seuls éléments de mobilité dans les actes II et III, le décor étant davantage fixe. Les costumes d’Andreas Reinhardt mélangent les époques – ils font leur œuvre. Les rares objets sont soigneusement choisis et renforcent le texte : les philtres colorés montrent l’inversion de la servante, la torche-signal devient néon, les épées restent égales à elles-mêmes. Le rocher incarnant le poids du destin descend lentement mais sûrement sur un Tristan agonisant – rocher qui avait failli naguère écraser, au sens propre, le ténor Robert Dean Smith, donnant lieu à une intrigue judiciaire cette fois-ci bien réelle ! Bref, la mise en scène intemporelle ne souffre pas ici la reprise.

Tristan et Isolde au Capitole de Toulouse
© Mirco Magliocca

Deuxième élément important : un plateau renouvelé mais pour qui Wagner n’est pas inconnu puisque l’on retrouve quatre artistes du Parsifal mis en scène par Aurélien Bory en 2020. À commencer par Nikolai Schukoff, hier Parsifal, aujourd’hui Tristan, toujours extrêmement dynamique sur scène, puissant et intelligible du début à la fin de l’œuvre. Sa bonhomie comme les instants de doute se lisent avec beauté et clarté sur son visage, concordance parfaite avec sa voix qu’il laisse avec facilité et maîtrise tantôt éclater, tantôt s’étouffer dans l’orchestre selon l’émotion convoquée. Il renoue le duo avec Sophie Koch (Isolde, ex-Kundry) et livre un acte II suspensif où les deux chanteurs échangent avec égalité et émotion, le tout en dominant l’orchestre, ce qui est peu dire tant celui-ci joue sur des nuances forte.

Tristan et Isolde au Capitole de Toulouse
© Mirco Magliocca

La mezzo-soprano est un peu plus statique mais elle s'investit corps et âme dans son personnage : on en voit même son costume trembler sous l'effet de son vibrato palpitant. L’équilibre avec l’ensemble est là aussi bien réglé, (rare) exception faite des passages les plus graves qui sont un peu en-dessous de l’orchestre. Anaïk Morel (Brangäne), elle aussi habituée des planches toulousaines, rivalise de force avec Sophie Koch et livre une servante volontaire mais opiniâtre dans son jeu scénique. Matthias Goerne (Roi Marke) offre un souverain posé et blasé, d’une voix impassible et peu ornée, à juste titre. Pierre-Yves Pruvot (Kurwenal) et Damien Gastl (Melot) restent en retrait mais montrent leurs capacités lorsque la partition leur en laisse la possibilité (acte III). Pierre-Yves Pruvot suit en ce sens Anaïk Morel, donnant avec Nikolai Schukoff des duos maître/servant assez équilibrés.

Troisième élément et non des moindres : un Orchestre du Capitole en forme et une conduite puissante de Frank Beermann. Ce spécialiste de l’œuvre wagnérienne mène l’ensemble avec une direction très détaillée, chanteurs compris. Les timbres sont soignés, à l’image du leitmotiv principal pour lequel le chef demande un fort vibrato en ouverture, ou les motifs graves et inquiétants du dernier acte très nuancés et contrôlés. Seuls les cuivres bégaient légèrement en fin d’acte I et début d’acte II. Gabrielle Zaneboni est excellente dans le long solo de cor anglais, livrant un sans-faute dans une délicatesse propice à la rêverie.

Rien n’est laissé au hasard ici : un chef et des chanteurs spécialistes et complices, un orchestre bien réglé, une mise en scène et des décors déjà éprouvés. Certes, on pourra objecter que la prise de risque est limitée, mais elle s’entend sur un plan artistique comme pragmatique. Pourquoi changer une équipe qui gagne face à une telle œuvre ?

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