De prime abord, le programme concocté par le Quatuor Hanson pour leur première venue au Théâtre des Champs-Élysées n’a rien d’évident : de Stravinsky à Mozart, puis de Mozart à Bartók, le lien ne va pas de soi. Pourtant, au fil des mouvements, on se laisse prendre au jeu en réalisant que les quatre musiciens semblent mettre en avant chez les trois compositeurs différentes facettes d’un même visage, celui de la modernité.

Le Quatuor Hanson
© Bernard Martinez

Chez Stravinsky, cette modernité s’exprime dans la concision des Trois pièces pour quatuor à cordes. Les Hanson en accentuent les bizarreries : surjouant l’âpreté du son dans la première pièce, ils donnent à son caractère populaire un aspect grinçant. La deuxième, plus suspendue, fait l’objet d’un travail passionnant sur la création d’un timbre hybride et étrange mais homogène, mi-arco mi-pizzicati. Enfin, les sons des quatre instruments fusionnent dans les accords dissonants de la dernière miniature, dont l’atmosphère funèbre est ici renforcée par un son à la fois pâle et rugueux, qui permet des pianissimos qui semblent s’enfoncer dans l’obscurité.

On ne ressort pas tout de suite de ce climat saisissant : jouées sans vibrato, sinistres, presque plates, les dissonances du premier mouvement du Quatuor K465 de Mozart le prolongent pour quelques instants. La suite de l'ouvrage sera menée de façon plus classique : l’Allegro initial est primesautier, truffé de fortepiano espiègles ; l’Andante cantabile tendre, construit autour de progressions lentes et organiques ; le finale spectaculaire avec ses dégringolades de syncopes et ses doubles croches exubérantes. Mais deux éléments apportent malgré tout une touche personnelle audacieuse. D’abord, des ruptures vraiment franches parviennent à surprendre le spectateur, à la fois sur les nuances (notamment dans le Menuetto) et sur les atmosphères (les thèmes chantés très intérieurs du finale font briller par contraste les tuttis plus volubiles). Enfin et surtout, les Hanson font le choix de la souplesse du tempo : retenant légèrement la phrase pour mieux la dérouler ensuite, apaisant les fins de carrures pour foncer ensuite sur des doubles croches endiablées, ou tout simplement prenant individuellement le temps de déclamer chaque motif mélodique à la manière d’une improvisation, ils offrent au monument que sont les Dissonances un vent de jeunesse et de spontanéité.

Nul besoin d’ajouter quoi que ce soit au Quatuor n° 4 de Bartók, en revanche, pour en faire ressortir la modernité. Les quatre musiciens jouent ici sur un autre registre, celui de la force pure – les nuances explosives qu’ils parviennent à tirer de la salle, qui n’est pourtant guère tendre, en sont la preuve. Dans l’Allegro initial, ils choisissent de réserver la dureté à l’harmonie, agressive, et de conserver en revanche un timbre chaud, bien que puissant. Même générosité dans l’Allegro molto final (miroir du premier mouvement), avec cette fois un caractère populaire assumé, exacerbé par des attaques fougueuses qui soulignent le rythme à la perfection. 

Mais ce sont bien les trois mouvements centraux qui font office de clou du spectacle, chacun permettant au quatuor d’explorer un mode de jeu radicalement différent, et in fine de proposer un climat bien distinct. Les nuances très douces et sombres qu’ils trouvent dans le Prestissimo, con sordino permettent un son vague, comme brouillé par des interférences, qui se précise peu à peu avec quelques fulgurances qui émergent. Le Non troppo lento central est un sommet d’intensité expressive, avec des accords tenus d’une beauté solaire que l’on n’attendait guère ici, qui laissent entrevoir une sorte de rêve lumineux bientôt avalé par un thème de violoncelle plus tendu, qui s’obscurcit progressivement. Enfin, les notes pincées du célèbre Allegretto pizzicato sont une leçon d’équilibre, de contrastes et de construction dramatique. En bis – demandé avec insistance par un public particulièrement enthousiaste pour un dimanche matin ! –, le finale du Quatuor op. 76 n° 5 de Haydn, dont la mélodie paraît ici particulièrement populaire, achève de prouver que le Quatuor Hanson maîtrise les monuments du répertoire… Et mériterait bien une seconde invitation au Théâtre des Champs-Élysées !

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