Dans la chaleur estivale un rien étourdissante, le Ballet de l’Opéra de Paris reprend bien à propos Le Songe d’une nuit d’été dans la chorégraphie de George Balanchine de 1962, qui était entrée au répertoire de la compagnie en 2017, pourvue pour l’occasion d’une nouvelle mise en scène, en décors et en costumes signée Christian Lacroix. Rare ballet narratif du chorégraphe, Le Songe d’une nuit d’été s’inscrit pourtant dans les canons balanchiniens : un mouvement néoclassique dépouillé, une succession de variations majeures et mineures (dont de très nombreux pas-de-deux) et une musicalité qui révèle la partition de Mendelssohn. Avec quelques beaux moments de danse et une scénographie onirique, le ballet est une fantaisie plaisante, malgré quelques passages un peu mièvres.

Ludmila Pagliero (Titania)
© Yonathan Kellerman / Opéra national de Paris

Le ballet reprend l'argument de la comédie de Shakespeare : pendant une nuit de juin, une cour féérique vit un étrange rêve amoureux. Puck, un lutin distrait doté d’une fleur magique aphrodisiaque, crée le désordre en ensorcelant de jeunes amants dans une forêt, devenus chacun épris de la compagne de l’autre. Puck envoûte aussi Titania, reine des fées, qui tombe sous le charme grotesque d’un tisserand transformé en âne. Puck restaure alors l’ordre moral du monde avant que les personnages ne s’éveillent au petit matin, leur trouble se dissipant alors dans les brumes d’un étrange songe.

Le thème du désir amoureux dupé ou, au contraire, incontestablement équivoque des personnages shakespeariens a suscité de nombreuses interprétations. Celle de Balanchine se tient à l’écart des lectures freudiennes, pour se concentrer plutôt sur les grands moments de l’intrigue et faire primer la danse et la musique. Conduits par la baguette féminine (c’est encore si rare !) d’Andrea Quinn, l’orchestre et les chœurs de l’Opéra de Paris ont offert une version joliment énergique de la partition du Songe de Mendelssohn (partition rallongée d’ailleurs par d’autres morceaux du même compositeur).

Paul Marque (Obéron)
© Yonathan Kellerman / Opéra national de Paris

Dans les rôles de Titania et d’Obéron, reine et roi des fées, Ludmila Pagliero et Paul Marque montrent comme toujours une technique éblouissante. On retiendra particulièrement la variation de sauts de Paul Marque, aussi moelleuse qu’aérienne, avec son superbe pas de sissonnes battues. Au second acte, où se célèbrent les mariages en grande pompe des couples reformés, le couple de tête change avec un « divertissement » dansé par Myriam Ould-Braham et Germain Louvet. Magnifique de légèreté, Myriam Ould-Braham apporte toujours cette touche de grâce incomparable sur scène. On restera néanmoins un peu sur notre faim sur ses séries de tours, avec des pirouettes assez décevantes. À ses côtés, Germain Louvet montre un travail très propre de sauts et de tours, mais moins engagé sur l’interprétation. 

Laura Hecquet, Hannah O'Neill, Pablo Legasa et Audric Bezard forment le fameux quatuor des amoureux tourmentés. Les deux danseurs masculins, dont les rôles sont composés de plus de pantomime que de danse, n’ont pourtant pas la présence en scène de leurs partenaires, et en particulier celle très marquante de Hannah O'Neill. Dans un rôle qu’on pourrait qualifier d’ingrat car difficile sans le paraître, Héloïse Bourdon interprète Hippolyte, la reine des amazones. Son entrée en grands jetés directement suivie de tours fouettés est une rude entrée en matière, réalisée avec un peu de brusquerie.

Le Songe d'une nuit d'été à l'Opéra Bastille
© Yonathan Kellerman / Opéra national de Paris

On se sera auparavant réjoui de voir débarquer sur scène, dès les premiers instants du spectacle, une farandole d’enfants virevoltants dans d’amusants costumes de fées et de lutins – élèves de l’Ecole de danse dont les grands jetés de certains laissent espérer de beaux lendemains sur scène ! – qui participe du décorum onirique et enfantin. Avec une toile de fond et un cadre de scène faits de motifs sylvestres, des costumes fluides ou scintillants, et une conque géante en guise de trône royal, la scénographie de Christian Lacroix s’inscrit dans l’esprit du merveilleux disneylandisé de Balanchine. Dans cette grande fresque chorégraphique fantastique, ce sont donc toutes les formations de l’Opéra de Paris (ballet, école de danse, orchestre et chœurs) qui se réunissent pour offrir un carnaval divertissant, destiné à tous les publics. 

***11