Grand événement à La Villette : la GöteborgsOperans Danskompani interprète pour la première fois en France Contemporary Dance de Hofesh Shechter et Saaba de Sharon Eyal. Les deux chorégraphes israéliens sont de la même génération et ont tous deux été interprètes au sein de la Batsheva Dance Company d'Ohad Naharin. Cette soirée permet de mettre en valeur leurs styles très différents et montre aussi un engagement commun dans la recherche de qualité et de précision du geste ainsi que dans la générosité artistique. Une magnifique soirée électrisante à La Villette, dont on se souviendra longtemps.
En première partie, Contemporary Dance est un spectacle ébouriffant et énergisant : en quatre parties, la pièce est une célébration du mouvement où les danseurs en groupe se déhanchent, forment des cercles, des lignes ou encore des duos de tango. Le style de Hofesh Shechter est à la fois précis et minimaliste, dans les mouvements des mains doux et rythmés au-dessus de la tête, et généreux et dynamique, par les sauts et enchaînements de mouvements ultra physiques qui ressemblent à une transe. L'ensemble procède donc d'une technique d'autant plus complexe qu’elle nécessite énormément de contrôle et de travail du corps tout en lâchant prise – comme on le voit lorsque les danseurs doivent complètement secouer la tête.
Or la compagnie suédoise donne toute son énergie et met tout son cœur dans cette danse épuisante et contagieuse. Le groupe est formidable et interprète ensemble à toute vitesse des mouvements répétés mobilisant tout le corps, produisant comme un rythme du corps, une musicalité issue de leur gestualité commune. La musique très forte et la lumière issue des spots contribuent à nous plonger dans une atmosphère de fête, ou un concert de rock déchaîné dont les danseurs sortent trempés, vidés, et le public conquis !
En deuxième partie, Saaba de Sharon Eyal nous plonge dans une atmosphère onirique. Le titre de la pièce fait probablement allusion à la légendaire reine de Saba, ce qui expliquerait la suprématie qui émane des danseurs et danseuses, dont les cheveux tressés sont ramenés sur la tête à la manière d’une couronne. Les danseurs en costumes couleur chair, moulants, raffinés et sobres, imaginés par la styliste Maria Grazia Chiuri de la Maison Dior, paraissent comme des créatures plus vraiment humaines ni tout à fait animales. Cette esthétique très singulière apporte une grande qualité chorégraphique ! Les danseurs sont sur demi-pointes quasiment constamment, produisant un effet à la fois d’élévation et de fragilité, ce qu'accentuent les cous et les bras étirés. Les moments d’ensemble, où les corps se tendent et se lient les uns aux autres, sont d'une grande beauté, donnant l'impression de sculptures de Rodin qui s'animeraient. Il y a quelque chose d’hypnotique dans cette œuvre très continue et parfois répétitive : les danseurs répètent un à un les déplacements dans la même posture, bras déployés et pieds resserrés, pour incarner des créatures fascinantes. Sharon Eyal sait utiliser les muscles, les doigts, les yeux des danseurs pour dépasser les limites du corps... et envoûter un public expressif et joyeux !