Avec une triple affiche de programmes courts « Etoiles de l’Opéra », « Rudolf Noureev » et « Chorégraphes contemporains », le Ballet de l'Opéra de Paris fait une rentrée sous contraintes dans le contexte de la crise sanitaire. Les travaux en cours dans le Palais Garnier ont nécessité d’installer une avant-scène éphémère de surface réduite (140 m2) et de se passer d’orchestre. Pour garder la cadence et renouer avec le public, l’Opéra de Paris propose donc cet automne une succession de variations tirées des ballets classiques de Rudolf Noureev, patrimoine emblématique de la compagnie : un exercice de style particulièrement exigeant et plutôt bien relevé par les solistes du Ballet, qui se retrouvent dans une proximité inhabituelle avec le public et un espace scénique réduit. Sans le décor ni la musique d’orchestre, les solistes en costumes paraissent néanmoins décontextualisés sur scène, tandis que l’enchaînement de toutes les apothéoses des ballets – Casse-Noisette, Cendrillon, Roméo et Juliette, Don Quichotte, Lac des Cygnes et Manfred – anesthésie un peu.

Amandine Albisson et Audric Bezard dans Le Lac des Cygnes
© Svetlana Loboff / Opéra national de Paris

Les deux adages extraits du ballet Casse-Noisette, dont l’un inaugure la soirée, permettent de prendre la mesure de la difficulté technique des chorégraphies de Rudolf Noureev, directeur du Ballet de l’Opéra de 1983 à 1989, dont les compositions recherchées balancent entre le génial et l’alambiqué. Sans paraître miraculeux en scène, ces deux adages sont d’une rigueur implacable, avec des équilibres et des portés rares. Un peu vert pour l’exercice, Paul Marque montre une danse trop fébrile, mettant même en danger sa partenaire Dorothée Gilbert, pourtant éprouvée, lors d’une réception. On ressent donc un léger regret, car l’étoile Dorothée Gilbert est généralement impériale dans ce type d’exercice.

Cendrillon est sans conteste le passage le plus faible de la soirée, en grande partie du fait de sa chorégraphie mal vieillie, qui transplante le conte féérique dans le monde hollywoodien des années 1930. L’étoile Alice Renavand, qui n’est pas dans son registre de prédilection, et son partenaire Florent Magnenet tentent pourtant d’incarner leurs personnages dans un effort visible.

C'est le pas de deux du balcon de Roméo et Juliette qui donne un véritable envol lyrique à la soirée. La chorégraphie, qui alterne de magnifiques passages techniques avec de romantiques moments d’abandons, est sans doute la variation qui nous permet le plus de voyager et, l’espace d’un instant, de se perdre dans l’histoire. Myriam Ould-Braham propose une Juliette frémissante, lumineuse, avec à ses côtés un Germain Louvet aussi splendide techniquement qu’investi dans son rôle.

Valentine Colasante (dans Don Quichotte)
© Svetlana Loboff / Opéra national de Paris

Don Quichotte est le tour de force de la soirée, triomphalement applaudi par la salle. Le pas de deux de l’acte II comprend à la fois un adage mais aussi des variations solos pendant la coda. Valentine Colasante, nommée étoile sur ce rôle deux ans plus tôt, est époustouflante avec des équilibres suspendus, des tours fouettés audacieux, de superbes coups de tête et une gestion pimpante de l’éventail. Francesco Mura propose lui aussi une diagonale de sauts haletante pour se mettre au niveau de sa partenaire.

Après la fièvre de Don Quichotte, l’ambiance onirique du Lac givre la scène. Amandine Albisson incarne un grand cygne, dans une grâce sans exagération, mettant plus d’éther que de réalisme dans ses battements d’ailes, plus princesse qu’oiseau. Moins connue, la variation solo dite « du poète » de Manfred, vient clôturer la soirée. Mathias Heymann s’y impose en grâce et en force, dans des emportements si spectaculaires qu’ils semblent déborder de scène ! Interprété avec passion par cette étoile, dont l’aisance technique et la profondeur d’interprétation en font probablement le danseur le plus fascinant de la compagnie, ce dernier tableau révèle une dimension plus introspective et plus moderne de la chorégraphie de Noureev.

Mathias Heymann (dans Manfred)
© Svetlana Loboff / Opéra national de Paris
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