Jeudi 10 juin, le Ballet de l'Opéra de Paris a fait son retour sur les planches de l’Opéra Bastille avec Roméo et Juliette, l’indémodable chef-d’œuvre de Rudolf Noureev. La soirée fut pleine d’émotion, marquée par le retour d’un public littéralement enthousiaste, par l’intensité dramatique de la représentation et surtout par le couronnement de la danseuse sud-coréenne Sae Eun Park dans le rôle de Juliette, salué par un tonnerre d’applaudissements. Dans le sillage de la nomination de Valentine Colasante, ce choix justifié d’une danseuse capable de danser brillamment la technicité du répertoire classique, tout comme de grands rôles d’interprétation – sa Juliette en est la démonstration – mais encore le registre contemporain (avec de belles prises de rôles ces dernières années dans les chorégraphies d’Anne Teresa de Keersmaeker ou Martha Graham) est un heureux signal envoyé au public : le mérite et la virtuosité guident les choix artistiques de l’institution.
Composé en 1977 par Rudolf Noureev sur la partition sublime de Prokofiev, le ballet Roméo et Juliette a fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en 1984, un an après la nomination du chorégraphe en tant que Directeur de la Danse. Dans des décors et costumes évoquant la Renaissance sans pour autant verser dans le folklorique, le drame s’inaugure par une vision sombre : quatre vagabonds vêtus de capes noires ouvrent les portes de la ville de Vérone, où un cortège funèbre défile sur l’ouverture glaçante de Prokofiev. Roméo entre en scène, dans une variation fluide, avec de romantiques tours attitude et des ronds de jambe altiers.
Dans le rôle-titre, le jeune Paul Marque fait ses débuts en public en tant qu’étoile, après une nomination en décembre dernier à huis clos. Pour cette première, on ressent quelques traces de trac, perceptibles à travers des prises de risques modérées et un peu de raideur lors des exigeants portés de la scène du balcon. Heureusement, ces inquiétudes se dissipent au deuxième acte pour laisser sa danse prendre plus d’ampleur. À ses côtés, Sae Eun Park nous offre un spectacle plein de maîtrise : une technique millimétrée avec des envols prodigieux et une fluidité pleine de grâce. Plus jeune fille en fleur que tragédienne, son interprétation crédible s’associe avec justesse à celle de Paul Marque : celle d’un couple juvénile qui se rencontre, dans des transports béats et un désespoir d’enfant – caprice sans révolte.
L’originalité de ce ballet repose aussi sur ses scènes de foule bouillonnantes – même s’il est un peu étrange de voir ce soir les figurants porter des masques chirurgicaux dans un style pas vraiment quattrocento. Le corps de ballet s’empoigne férocement, dans des corps-à-corps superbement chorégraphiés, des grimaces et des bras d’honneur éhontés, savoureusement interprétés par des danseurs tels que Matthieu Botto et Antonin Monié, complètement immergés dans leurs rôles semi-comiques.
Avec plusieurs seconds rôles au caractère marqué (Tybalt plein de fougue, Mercutio joyeux drille et Benvolio modérateur de conflits), le ballet fait la part belle aux variations de danseurs masculins. Dans le rôle de Mercutio, Francesco Mura interprète un diablotin incroyablement aérien, frappant de virtuosité. L’interprétation de Tybalt par Jérémy-Loup Quer est quant à elle aussi originale que réussie : plus généralement incarné en mâle dominant, Tybalt représente ici un jeune héritier pervers – sans emphase, mais avec ce qu’il faut de cruauté dans le regard. Enfin, Fabien Révillion sait donner à son personnage de Benvolio une interprétation nuancée, accompagnée d’une très belle technique de saut. On retiendra également la danse précise d’Héloïse Bourdon, dans le rôle de Rosaline, chrysalide un rien frigide et amour platonique de Roméo. Un retour brillant de l’ensemble du Ballet, pour une soirée inoubliable.