Le Ballet de l’Opéra de Paris célèbre Maurice Ravel à travers deux œuvres composées pour la danse : Daphnis et Chloé, symphonie chorégraphique commandée par les Ballets Russes en 1912, et le célèbre Boléro, dont la mélopée ascendante inspira la chorégraphe Bronislava Nijinska en 1928. Malgré ce fil rouge musical, le programme n’offre pas la même unité du point de vue chorégraphique. La nouvelle version de Daphnis et Chloé créée par Benjamin Millepied en 2014 est une fresque néoclassique narrant les péripéties amoureuses des amants mythologiques, dans une interprétation légère et sans aspérité. Composée en 1961, le Boléro de Maurice Béjart, est une œuvre à la fois plus monolithique (performance interprétée d’un bout à l’autre par un artiste sur un podium) et bien plus grisante.

Daphnis et Chloé, inspiré des Pastorales, est un récit mythologique du poète hellène Longus qui raconte l’éveil de l’amour chez un jeune couple de bergers et les convoitises que suscite cette passion. Le ballet s’ouvre sur une pastorale heureuse, où le couple danse en émoi, allumant la jalousie dans le cœur de Dorcon, qui décide d’enlever Chloé et de la livrer à des pirates. Pour cette nouvelle version du ballet conçue en 2014, Benjamin Millepied s’était associé à l’artiste plastique Daniel Buren. Mais ce partenariat est davantage une juxtaposition de deux visions artistiques qu’une synthèse cohérente : la non adéquation entre un décor fait de panneaux géométriques colorés, abstraction pure qui brode avec les motifs musicaux de la partition ravélienne, et une chorégraphie narrative et relativement naïve est frappante. Les danseurs de Benjamin Millepied sont de jeunes gens en fleur, évoquant des bergers et des nymphes un peu disneylandisés. Quoique fluide, le mouvement semble surchargé, tandis que les tableaux défilent sans progresser. L’interprétation du ballet est en outre mitigée : Hannah O’Neill est une Chloé d’une remarquable grâce, mais qui offre assez peu de démonstrations de virtuosité. Dans les rôles de Daphnis et Dorcon, Yannick Bittencourt et Allister Madin sont globalement décevants. On notera néanmoins la justesse du jeu d’Aurélia Bellet, plus convaincante, et les très prometteuses variations d’Antonio Conforti, en chef des pirates.

Composé en 1961, et immortalisé par le film Les Uns et les Autres de Claude Lelouch, le Boléro de Maurice Béjart est resté l’une des pièces les plus emblématiques du chorégraphe. Aux premières notes, un projecteur éclaire une main surgie de l’obscurité avant de révéler le corps d’un soliste juché sur un podium circulaire rouge sang. L’ondulation langoureuse du corps, de plus en plus intense, représente la progression du désir qui émane de la chaude modulation du Boléro, dont le rythme et la mélodie invariés se répètent dans un long crescendo. Au pied du podium, des danseurs à demi-nus répondent à cette invitation par des déhanchements lascifs et des démonstrations de virilité. Cette interprétation du Boléro, à la fois abstraite et primitive, paraît encore aujourd’hui étonnamment moderne, d’autant plus que le soliste, objet du désir du parterre masculin, est alternativement une femme ou un homme. Pour cette reprise, la splendide Marie-Agnès Gillot dont la carrière d’étoile s’éteindra malheureusement le mois prochain, est remontée sur le podium pour une performance exaltante. On saluera aussi la direction subtile de Maxime Pascal, dont les unissons équilibrés témoignent d’une attention particulière portée sur le collectif, sans qu’aucun instrument ne prenne jamais le dessus sur l’ensemble, même si on aurait peut-être préféré quelques saillies plus marquées des percussions pour rendre ce Boléro encore plus galvanisant.

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