Le calembour trop connu (de Rossini lui-même) concernant la Petite Messe solennelle (« musique sacrée ou sacrée musique ? ») a finalement beaucoup desservi l’œuvre, encore trop souvent appréciée à l’aune d’un jugement qui fait de Rossini un compositeur exclusivement facétieux, comme si la redécouverte, depuis maintenant plus de 50 ans, de toute la veine sérieuse et tragique du musicien était restée lettre morte… Et chacun d’y aller de sa remarque sur les premières mesures prétendument jazzy du « Kyrie », ou sur telles phrases trop enjouées du chœur dans le « Cum Sancto Spiritu »… La Petite Messe solennelle est une œuvre sérieuse, empreinte de recueillement et de religiosité – étant entendu que le recueillement ou le sentiment religieux peuvent revêtir d’autres formes que celles glorifiées par Bach, Mozart ou Fauré...

Bart Van Reyn
© Wouter Van Vaerenbergh

C’est sans doute le premier mérite de Bart Van Reyn que d’avoir pris cette œuvre au sérieux et d’avoir cherché et trouvé le ton juste : ni exubérance outrancière, ni romantisme appuyé, ni gravité hors de propos, le ton est exactement celui qui convient : sérieux sans lourdeur, émouvant sans pathos. Sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées, le Vlaams Radiokoor (Chœur de la Radio flamande) se montre d’une malléabilité, d’une transparence, d’une musicalité exceptionnelles. Les entrées et la superposition progressive des quatre parties dans le « Kyrie » est un régal pour l’oreille, et cette impression de limpidité et de précision se maintiendra tout au long du concert, avec en sus une habileté certaine à colorer chaque page de la couleur qui lui est propre, de la joie rayonnante du « Cum Sancto Spiritu » à l’appel déchirant à la pitié divine dans l’« Agnus Dei ».

L’harmonium de Bart Rodyns, par ses accents solennels, confère à l’œuvre l’exact soupçon de hiératisme qui lui est nécessaire, et dialogue habilement (et de façon toujours complice) avec le piano. Un seul piano, contrairement aux deux prévus par le compositeur, mais quel piano ! La prestation de Tanguy de Williencourt est exemplaire, et le succès de la soirée doit beaucoup à cette interprétation portée par une énergie élégante et toujours mesurée, qui sait aussi se teinter d’émotion quand nécessaire (très touchant « Prélude religieux », à la mélancolie à la fois discrète et prégnante…).

Le quatuor vocal a permis d’entendre une jeune basse italienne qui, sans être une absolue découverte (Daniele Antonangeli a déjà chanté Assur dans Semiramide à Saint-Étienne en 2018), n’est pas encore très connue en France. L’adéquation stylistique est totale et la voix, d’une belle couleur sombre, fait preuve d’une appréciable souplesse, permettant au chanteur de venir à bout sans difficulté apparente des délicates modulations du « Quoniam » et de l’aigu périlleux placé sur le « Jesu Christe » final. Un chanteur à suivre, assurément !

Cyrille Dubois, dont le beau récital donné à l’Eléphant Paname en novembre dernier avait déjà révélé l’appétence pour le répertoire italien, possède une voix particulièrement bien adaptée à la partie ténor. Plus à sa place dans cette œuvre qu’une large voix d’opéra (Carreras, dans la version Scimone chez Philips, y est assez exotique), le timbre du ténor français, frais et délicat, fait preuve d’une belle puissance quand nécessaire, et l’interprète nous gratifie comme à son habitude d’une ligne de chant constamment soignée et poétique. Un exemple parmi d’autres : l’aigu placé sur le mot « Gloria » du « Gratias agimus tibi », ou celui qui clôt le « Domine Deus » (« Filius Patris ») qu’on a si souvent l’habitude d'entendre hurlés, sont ici délicatement et comme naturellement insérés à la ligne de chant.

Hasmik Torosyan est un soprano aigu (elle a récemment chanté Marie de La Fille du Régiment à Bologne), mais heureusement pas leggerissimo : la densité du timbre lui permet de tenir efficacement et dignement sa partie, et la chanteuse délivre un « O salutaris » élégant et touchant. Dommage que le vibrato se fasse un peu trop présent dans le registre aigu de la voix et  compromette parfois légèrement la pureté du legato.

Carlo Vistoli, enfin, a remplacé in extremis Anthea Pichanick initialement prévue pour la partie d’alto. Le contre-ténor, plutôt inattendu dans ce répertoire, fait preuve d’une constante musicalité. Son timbre se marie efficacement à celui d’Hasmik Torosyan dans le superbe « Qui tollis », et surtout, le chanteur délivre un « Agnus Dei » très touchant, subtil mélange de fragilité et de force, suscitant une vraie émotion dans la supplique finale : « Miserere nobis ». Très grand succès de la part d’un public fort attentif, visiblement ravi et ému.

****1