C’est après un long travail que Claude Debussy, soucieux de purger son Pelléas et Mélisande de tout wagnérisme, ajouta sa pierre au panthéon de l’opéra français en signant une œuvre depuis longtemps appréciée des lyricomanes et canonisée par les musicologues. Autant par son écriture intransigeante que par le culte dont il fait l’objet, ce drame lyrique agit comme un véritable couperet pour ses interprètes. Mais, donné en version de concert par un Orchestre National de France habitué de ce répertoire, et placé pour l’occasion sous le patronage expert de Susanna Mälkki, le Pelléas proposé dimanche dernier à la Maison de la radio et de la musique promettait plutôt un enivrement tranquille à ses auditeurs.

Susanna Mälkki
© Simon Fowler

En fait d’enivrement, c’est à un grand vertige qu’invite la maestra finlandaise. Si l’on a connu des préludes plus directifs, on cède volontiers à la langueur moite qu’instille l’orchestre, et l’on prend bientôt plaisir à s'immerger dans la forêt du premier acte à propos de laquelle ni la partition, ni le livret ne fournissent la moindre indication. Si ces mesures introductives paraissent bien limpides, la clarté laisse peu à peu la place à une obscurité toute mystérieuse, dont l’ombre létale finira de recouvrir le drame et ses personnages.

Par la maîtrise absolue de sa gestique, Susanna Mälkki fait parler son métier sans autoritarisme et donne une lecture analytique – on n’en attendait pas moins de la part de celle qui s’est fait une spécialité des musiques modernes et contemporaines – sans pour autant se livrer au pointillisme académique : la cheffe se montre capable de s’abandonner aux grandes effusions de l'ouvrage, notamment à la fin du quatrième acte. Devant la partition, l’humilité de la direction semble partagée par le National qui, soucieux de maintenir l’équilibre entre ses pupitres, ne fait pas étalage de sa virtuosité – on la sait remarquable s’agissant de sa petite harmonie – mais laisse au contraire se déployer la profondeur de ses cordes autant que l’éclat de ses cuivres. Et si c’est peut-être au détriment d’une sonorité à la française, la musique y gagne assurément en volupté.

Placé d’emblée sous les meilleurs auspices par son très haut niveau de réalisation musicale, ce Pelléas souffre malheureusement d’une distribution par trop mitigée – alors même que l’auditeur en attend d’autant plus de qualités qu’aucune mise en scène ne peut compenser ses éventuels défauts d’incarnation vocale. On regrette tout d’abord que les deux basses n’aient pas échangé leurs rôles respectifs car la solidité de Patrick Bolleire en berger-médecin aurait aisément convenu au souverain Arkel, interprété ici par un Alastair Miles au souffle court, instable et impuissant à transmettre la moindre majesté. À ses côtés, on se prend d’affection pour la Geneviève de Nadine Weissmann : pourtant mise en grande difficulté par une émission gutturale et un phrasé approximatif, la douceur de ses intentions rend tendre et maternel son personnage lorsqu’à la fin de l’acte I, celle-ci fait découvrir le château à sa bru.

Si Antoinette Dennefeld ne se laisse pas materner et nous offre une Mélisande exempte de mystère comme de fragilité, on se laisse malgré tout charmer par les qualités vocales de son mezzo ; dommage qu’un peu plus d’écoute ne l’ait pas poussée à tempérer ses excès d’ardeur car le premier acte se voit, dans un contraste saisissant, déséquilibré par la timidité du Golaud d’Allen Boxer. La fragilité de la projection du baryton ôte tout moyen dramatique à son personnage de mari jaloux, et quand au comble de sa fureur – dans le quatrième acte – celui-ci accable Mélisande, il ne dévoile que trop peu de cruauté. À l’inverse, la maîtrise vocale de Ben Bliss semble pousser le ténor à couvrir son Pelléas de simagrées ronflantes qui ne correspondent guère à l’esthétique diaphane de l’œuvre. Notons néanmoins l’astucieux placement du chœur qui, habilement dirigé par Pierre Mosnier depuis l’un des balcons latéraux, aura permis d’apprécier l’une des scories tristaniennes dont Debussy n’aura pas réussi à se débarrasser : le chant des marins de la fin de l’acte I.

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