Le Théâtre des Champs-Élysées a accueilli mercredi dernier l’ensemble L'Arpeggiata et Philippe Jaroussky, escale dans leur tournée internationale célébrant vingt ans de collaboration et la sortie récente de l'album Passacaille de la Follie (Erato). Sous la direction de Christina Pluhar, les artistes nous embarquent dans un voyage riche en couleurs, remontant aux sources de la chanson française : l’air de cour. Ce voyage passe également par les cours d’Italie (Monteverdi, Mealli, Cazzati, Rossi), d’Espagne (« visitée » par des compositeurs français tels Moulinié et de Bailly), d’Angleterre (Purcell). Ce choix souligne les intenses échanges culturels de l’époque, de même qu'un certain goût pour l’exotisme. Sans oublier la signature de L'Arpeggiata : le dialogue entre différents styles musicaux et une place importante accordée à l’improvisation, âme de ce répertoire. 

Philippe Jaroussky
© Simon Fowler

Le bal est ouvert d’un pas élégant et ensorcelant par Nos esprits libres et contents de Boësset, avec une basse obstinée des cordes pincées, motif important dans l’esthétique de l’air courtois. L’ambiance est intime et chaleureuse. Tout dans le jeu des musiciens de L'Arpeggiata respire précision, finesse, souplesse, passion. Seule l’interprétation de Philippe Jaroussky s’avère un peu crispée, moins assurée dans les graves, manquant d’éclat ici. Mais on l’oublie vite car la vitalité du deuxième morceau, El baxel està en la playa (Gabriel Bataille), semble fonctionner comme un coup de fouet pour le chanteur qui ne cessera dès lors de nous charmer et surprendre.

Moment du programme entièrement improvisé par l'ensemble instrumental, La Dia Spagnola propose une véritable explosion de virtuosité. Après une introduction en douceur, les cordes gagnent en nervosité, ouvrant l’espace à une joute d’agilité. David Mayoral aux percussions accélère les battements du cœur, par une époustouflante improvisation de style flamenco, évocation des zapateado – contaminant même la contrebasse de Leonardo Teruggi, qui abandonne l’archet pour « zapatear » à son tour. Le fougueux violon de Jorge Jimenez s’y jette lui aussi, dans une véritable étreinte passionnelle, cédant ensuite la parole au cornet à bouquin de Doron Sherwin, qui s’empare d’abord de percutantes sonorités de trompette, pour s'aventurer ensuite vers des accents plus jazzy. Le théorbe de Christina Pluhar calme enfin le jeu et le morceau se conclut d’une manière inattendue, aux allures de révérence gracieuse, où l'on apprécie notamment la délicatesse du clavecin de Dan Espasa.

Yo soy la locura fait ensuite monter encore l’intensité. Les castagnettes envahissent maintenant l’arène, entraînant les solistes dans une danse au rythme endiablé. Philippe Jaroussky brille lui aussi par un jeu très investi : sa danse à l’éventail, au rythme des castagnettes, ne laisse pas insensible !

La veine comique s’amplifie pour Aux plaisirs, aux délices, bergères (Guédron), qui met en scène, d’une manière savoureusement décalée, la rivalité entre le chanteur et le cornet à bouquin (clin d’œil à sa position d’instrument-roi au XVIIe siècle). Le même esprit blagueur se retrouve dans l’interprétation de Ohimè ch’io cado (Monteverdi) et dans le premier bis, Ciaccona del Paradiso e dell’ Inferno, où Sherwin s’improvise en chanteur, se livrant à des périlleuses envolées lyriques, pour notre grand plaisir. Mais le comble du déjanté arrivera lors du deuxième bis, étonnant air courtois trouvé dans la bibliothèque de Christina Pluhar : Déshabillez-moi ! Jaroussky s’y prête au jeu avec beaucoup d’humour.

Tout n’aura pourtant pas été comique ou enjoué, le programme proposant une alternance permanente avec des moments élégiaques, de pure poésie. Ce contraste apporte un dynamisme rafraîchissant. Les sublimes vers de Si dolce è il tormento de Monteverdi, portés par la voix hiératique de Philippe Jaroussky, sur un tapis de douceur des cordes, sont désarmants. La salle se pare alors d’un silence liturgique : surgissement du sacré dans le présent. L'autre moment hautement poétique survient avec les bouleversants airs écrits par Luigi Rossi pour son Orfeo : « Dormite, begl’occhi » et « Lasciate averno » – déchirante plainte d’Orfeo qui, perdant à jamais sa bien-aimée, s’avance implacablement vers la mort.

Le voyage s’achève à la cour d’Angleterre, avec The Curtain Tune de Purcell ; puis la mystérieuse et sublime Music for a while, d'un poids de plomb. Enfin, un touchant hommage au contre-ténor James Bowman clôt la soirée : Vos mépris chaque jour de Michel Lambert, chanté par Jaroussky avec une émotion palpable.

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