Moins d’un mois après Sir Simon Rattle et son « LSO on tour », c’est à Sir Antonio Pappano de prendre ses quartiers Porte de Pantin. Cette noble succession de « Sirs » à la Philharmonie de Paris peut en cacher une autre, quand on sait que le second est appelé à remplacer le premier à la tête de l’orchestre londonien dès la saison prochaine. Mais laissons là les affaires d’outre-Manche, puisque c’est avec son Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia que nous retrouvons Antonio Pappano. Pas de réforme des retraites en vue pour le doyen des orchestres symphoniques italiens qui, malgré ses cent quinze bougies, continue de tourner avec ici un programme résolument efficace – bien que sans grande prise de risque.

Antonio Pappano et l'Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
© Ondine Bertrand

Pourtant, la Première Symphonie dite « Classique » de Prokofiev donnée en ouverture surprend d’abord par une matière orchestrale lisse et sirupeuse, avant de définitivement s’engluer dans le statisme et l’ennui. Le premier mouvement, joué plus Andante qu’Allegro, souffre d’un tempo trop lent qui manque aussi bien de surprise que d’explosivité. Il faut attendre le finale pour qu’enfin la pulsation se fasse vive et entraîne avec elle son tourbillon musical. Déterminé à souligner le caractère pastiche de l’œuvre dans une caricature de classicisme – absence prononcée de vibrato, timbres trop aimables –, le chef prend son sous-titre très au premier degré, la dépouillant à la fois de l’humour moderne de Prokofiev et de l’humour classique d’un Haydn.

Antonio Pappano et l'Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
© Ondine Bertrand

Tirant ses couleurs d’un Schumann – voire d’un Bruckner dans le finale – et assis sur des cuivres sombres, c’est un Sibelius tourné vers le Rhin que donne à entendre l’orchestre en deuxième partie de concert. Si on peut douter du bien-fondé d’une telle démarche, le sens de la construction dramatique amené par Antonio Pappano apporte à la Cinquième Symphonie du compositeur finlandais tout le caractère d’un poème symphonique. Chaque force de l’orchestre, chaque trajectoire musicale semble tendue vers un point culminant et procure le sentiment que chacun des mouvements est dirigé comme un acte d’opéra : tandis que les trémolos vrombissent comme des essaims, les crescendos sont construits de bout en bout et chaque phrase redouble d’expressivité. Mais plus théâtrale que narrative, plus assertive que suggestive, cette interprétation reste dénuée de tout mystère. Et la clarté rasante et brumeuse de l’esthétique sibélienne cède vite la place à une lumière artificielle de projecteur.

Antonio Pappano, Víkingur Ólafsson et l'Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
© Ondine Bertrand

Si les aficionados de Martha Argerich ont pu s’émouvoir de l’absence – annoncée il y a quelques jours – de la pianiste argentine, la déception a dû être de courte durée puisque c’est à Víkingur Ólafsson qu’échut l’honneur et la responsabilité de la remplacer aux côtés de la phalange romaine. Étoile montante du piano sur la scène internationale, le jeune Islandais développe un répertoire très éclectique dans lequel s’insère désormais à merveille, entre Bach et Glass, le Concerto en sol de Maurice Ravel. Ne nous laissons pas avoir par son allure de fonctionnaire bureaucrate et son impassible froideur : sous l’épaisse couche de glace se cache en réalité un magma d’émotion et d’expressivité. Là s’arrête la métaphore géologique car l’ébullition est chez lui maîtrisée, contrôlée avec une justesse qui fait de ses irruptions des instants de grâce suspendus, à l’instar de la longue mélopée introductive du second mouvement.

Rendu presque désinvolte par les interventions légèrement syncopées du pianiste, le premier mouvement s'est auparavant paré de couleurs gershwiniennes très à propos, alors que le Presto conclusif sera véritablement diamanté, tant dans son registre percussif que mélodique, par les déferlantes du Steinway. Sans apparence démonstrative, Víkingur Ólafsson use de sa virtuosité avec pudeur et parcimonie, toujours dans le sens d’une musicalité et d’un esprit propres à Ravel. Heureusement, car l’orchestre reste quant à lui bien en retrait. Bridé par une direction trop rigide, il refuse le moindre souffle de jazz, dans les timbres comme dans les rythmes, si bien que l’orchestration ravélienne finit par perdre ses couleurs et disparaît derrière la fadeur d’une masse orchestrale monochrome.

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