Dans Un jour nouveau, Rachid Ouramdane a chorégraphié un duo pour Darryl E. Woods et Herma Vos, danseurs professionnels âgés de plus de 60 ans. Étincelants dans leurs costumes sombres et pailletés, à la manière de danseurs de salon qui viendraient concourir, les deux artistes enjoués et vifs démarrent des pas rapides sur une musique rythmée qui résonne dans la salle : « Everybody loves to cha cha cha ». Leur énergie contamine le public qui applaudit en cadence sur ce tube de l'année 1959. Peu à peu, le duo ralentit et les gestes s’adoucissent, laissant transparaître une vulnérabilité. Herma Vos, ancienne meneuse de revue, se montre solaire et sensuelle. Quant à Darryl E. Woods, ses pas techniques et rapides prouvent qu'un corps de danseur n’oublie jamais ce qu’il a appris. Un quart d’heure suspendu empli de nostalgie et de douceur.

Un jour nouveau de Rachid Ouramdane
© Christophe Bernard

En deuxième partie de cette soirée proposée par Aterballetto au Théâtre de Chaillot, Birthday Party réunit huit interprètes de 67 à 80 ans. Angelin Preljocaj a créé une pièce expressive et touchante en explorant le corps vieillissant. Le travail mené par le chorégraphe et les danseurs est remarquable : tous semblent liés, solidaires et à l’écoute. La chorégraphie allie des danses de groupe, rythmées et cadencées et des duos ou trios de corps qui s’entrelacent. Le spectacle montre que l’énergie et la présence des corps sont plus importants que l’exécution d’un geste académique. Lors des séquences collectives où les huit danseurs interprètent les mêmes mouvements, chacun s’approprie le geste selon l’état de son corps. La force du groupe est palpable et transmet un message fort : un corps âgé n’est pas à cacher.

Birthday Party d'Angelin Preljocaj
© Christophe Bernard

La dimension politique a bien sa place dans le spectacle, dans lequel on entendra à plusieurs reprises l'enregistrement d'une journaliste demander à Simone de Beauvoir : « qu’est-ce que vieillir exactement ? ».  L’écho à l’actualité suscite les rires du public : Simone de Beauvoir évoque en réponse la nécessité de partir à la retraite quand un corps a besoin de repos. Preljocaj adopte pour sa part un regard très sain en s’intéressant à l’évolution du corps qui doit se respecter et s’écouter tout en déployant une grande palette d’expressivité et de créativité inépuisable. Le second degré est aussi de la partie comme à cet instant où les danseurs soufflent de soulagement après avoir dansé l’introduction intense physiquement, en se congratulant et se serrant dans les bras.

Birthday Party d'Angelin Preljocaj
© Christophe Bernard

Angelin Preljocaj réussit complètement son pari en parvenant à mettre en relation des corps qui s’opposent par leurs morphologies et en mettant en lumière le fait que vivre ensemble est bien possible même quand le rythme de chacun est différent. Une femme en porte une autre dans ses bras ; des trios s’enlacent ; les huit interprètes alignés et déguisés comme à une fête d’anniversaire prennent des pauses de guerrier : autant d'images percutantes qui cassent les clichés d’une personne âgée passive. Le chorégraphe questionne aussi le rapport au couple en créant des duos, terminant notamment le spectacle par une séquence très tendre où, deux par deux, des danseurs de même sexe se retrouvent, s’explorent et s’embrassent sur la bouche. 

Évitant habilement de basculer dans la mièvrerie, le chorégraphe fait preuve de beaucoup de justesse et a su composer sur-mesure, pour ces huit corps, une Birthday Party réussie où amour et humour sont au rendez-vous ! 

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