Après sa création au Festival d’Aix-en-Provence en juillet dernier, la mise en scène de Moïse et Pharaon par Tobias Kratzer est accueillie à l’Opéra de Lyon, l’un de ses trois coproducteurs avec le Teatro Real de Madrid. Le spectateur lyonnais peut d’ailleurs se sentir dans la peau d’un festivalier aixois à la vue des murs de l’Archevêché, que le décorateur Rainer Sellmaier a reconstitués avec minutie sur le plateau, alors qu’ils formaient l’été dernier le fond naturel de la scénographie.

Moïse et Pharaon à l'Opéra de Lyon
© Blandine Soulage

On retrouve pour le reste les idées et lignes de force qui constituent la mise en scène de Kratzer : Hébreux en migrants accueillis côté jardin sous des tentes (Aménophis, fils de Pharaon, travaille pour l’ONG « We CARE ») et Egyptiens côté cour aux allures d’hommes d’affaires cravatés et supposément cyniques. Certaines images ont toujours un fort impact sur le public, par exemple les Tables de la Loi reçues en brûlures sur les avant-bras et le torse de Moïse, la page du réseau social « connect » de la princesse Elégyne projetée à l’acte II, les films de calamités climatiques qui défilent peu après sur la chaîne d’info en continu, ou encore le finale de l’acte IV quand les migrants préparent leur traversée de la mer Rouge avec canots pneumatiques et gilets de sauvetage. Après la traversée, illustrée par un film très réussi des Egyptiens qui se noient, les Hébreux chantent le cantique « Chantons, bénissons le Seigneur ! » en se répartissant dans la salle, tandis que la scène est transformée en plage avec parasols et lits de bain… Ne subsiste de l'histoire déjà ancienne et oubliée que le bâton de Moïse posé à terre, sur lequel une baigneuse lance un regard interrogateur. Même si on a déjà vu le génie du metteur en scène allemand s’épanouir davantage dans certaines autres de ses réalisations visuelles, celle-ci se laisse voir une nouvelle fois avec plaisir.

Moïse et Pharaon à l'Opéra de Lyon
© Blandine Soulage

Une bonne partie de la distribution aixoise est présente à nouveau, à commencer par Michele Pertusi qui compose un Moïse d’une grande autorité visuelle et vocale dans son registre aigu, alors que ses notes les plus graves deviennent plus discrètes. Comme à Pesaro en 2021, puis à Aix, la mezzo Vasilisa Berzhanskaya réalise un tour de force en Sinaïde, en particulier dans son grand air de l'acte III « Ah ! d’une tendre mère » pris mezza voce, avant d’opérer une progression spectaculaire en décibels, tout en gardant son timbre splendide. Moins ambitieux dans ses montées vers l’aigu, le ténor Mert Süngü (Eliézer) est toutefois en excellente forme, le baryton-basse Edwin Crossley-Mercer (Osiride) est tout aussi somptueux, comme Géraldine Chauvet dans le rôle réduit de Marie, aux côtés du troisième ténor Alessandro Luciano (Aufide).

Moïse et Pharaon à l'Opéra de Lyon
© Blandine Soulage

De nouveaux venus complètent la distribution : Alex Esposito s'empare du second rôle-titre de Pharaon avec un chant vigoureux et volumineux, prenant même un ton enragé pour la conclusion de l’acte III. Remplaçant Pene Pati à Aix, Ruzil Gatin (Aménophis) ne dispose pas de la même qualité d’élocution du texte, mais il est capable de très beaux moments où l’instrument projette avec clarté. Ekaterina Bakanova (Anaï) possède intrinsèquement un timbre plus séduisant que celui de Jeanine De Bique entendue en juillet. Après un démarrage à l’intonation très approximative, on goûte aux aigus aériens et à sa technique belcantiste, dans un français malheureusement pas toujours facilement accessible.

Moïse et Pharaon à l'Opéra de Lyon
© Blandine Soulage

L’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra de Lyon font preuve d’une grande maitrise technique, les choristes préparés par Benedict Kearns assurant en particulier une coordination idéale et un bel équilibre entre pupitres. Prévu pour l’ensemble des représentations, le directeur musical de l’Opéra de Lyon Daniele Rustioni se fait remplacer ce soir, pour raisons médicales annoncées, par Clément Lonca, chef assistant pendant toute la période des répétitions. On apprécie sa lecture pleine de contrastes et de relief, impulsant beaucoup de nerf aux récitatifs, mais tout cela sans excès et avec un naturel qui fait vivre la musique avec passion. La musique des ballets de l'acte III, dansés sur la chorégraphie de Jeroen Verbruggen aux portés originaux, s’écoute ainsi avec un grand intérêt, tout au long de ses numéros successifs.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra National de Lyon.

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