En ce mardi 25 octobre, un parfum poudré et fin-de-siècle plane sur le Palais Garnier pour la première de Mayerling de Kenneth MacMillan. Ce n’est pas spécialement nouveau : le ballet a été créé en 1978, à Londres. Et L’Histoire de Manon, du même chorégraphe, dans le même esprit, est déjà au répertoire de la compagnie. L'attente est donc tiède, mais Mayerling est a priori une valeur sûre. C'est l'union classique d'Eros et de Thanatos, un drame sulfureux en trois actes s’inscrivant dans la veine de ces grandes fresques narratives en costume léguées par MacMillan. Caractéristiques ? Des amours maudites (Roméo et Juliette, Manon), l’exploration de l’abîme psychologique (Anastasia), le tout enchâssé dans la grande Histoire et émaillé de sexe, de violence et de scandale. Mayerling paraît même surpasser le genre avec son aura historique, du nom de l’endroit où ont été retrouvés morts en 1889 le prince héritier de l’Empire austro-hongrois, Rodolphe, et sa jeune maîtresse Mary Vetsera. Meurtre ou suicide, le mystère demeure, ce qui fait le lit du ballet. L’entreprise est ambitieuse : elle brode autour du crépuscule d’un homme, d'une relation, d’une famille, les Habsbourg, portant en germe l’implosion de l’Empire. Résultat, Mayerling apparaît trop dense, rendant difficilement lisible l’intrigue et insuffisante la caractérisation des personnages, pléthoriques par ailleurs.

Mayerling au Palais Garnier
© Ann Ray / Opéra national de Paris

Héritier rebelle d’un Empire déliquescent à l’image des Habsbourg, fils de Sissi, porté sur la drogue, le suicide et partisan d’idées libérales, Rodolphe n’a rien du prince charmant. Sa fin tragique, non élucidée, a assuré sa postérité. MacMillan joue sur l'ambiguïté, l'exposant à la fois comme victime et bourreau d’un système aliénant. Cette approche holiste était peut-être pertinente dans les années 1970 mais, de nos jours, elle est un peu trop évidente. Le chorégraphe essaie aussi d'humaniser le personnage en rendant saillants le mariage arrangé avec son épouse, la relation glaciale avec la mère, la mésentente politique avec le père, les dissensions au sein de l’Empire et la décadence de la Cour derrière le faste des apparences. La critique est convenue mais elle pose des repères dans une œuvre plutôt brouillonne.

Hugo Marchand (le prince Rodolphe)
© Ann Ray / Opéra national de Paris

En ce soir de première, Hugo Marchand n'a pas l'air de forcer le trait de la victimisation. Son Rodolphe suscite peu d’empathie : par sa conduite brutale envers les femmes, il incarne ce que l’on nommerait aujourd’hui masculinité toxique. On croit parfois percevoir en lui le regard douloureux de Siegfried. Plus souvent, on entrevoit l’arrogance d'Eugène Onéguine, un dandy bien-né. Puis quand il est pris de spasmes, représentant la folie qui sommeille, c’est Ivan le Terrible qui surgit. Le Rodolphe d’Hugo Marchand exhale globalement quelque chose de très français, il suinte l’ennui baudelairien, ce démon mortifère qui est le fruit d’une époque mais qui se nourrit des vices intrinsèques de l’homme. Une fleur du mal. Les influences qui animent le danseur sont riches mais la compréhension de la psyché du personnage est ardue. Sa danse reste puissante, aidée par une allure sculpturale, une technique solide et une gestuelle toujours habitée.

Hugo Marchand (le prince Rodolphe) et Valentine Colasante (Mizzi Caspar)
© Ann Ray / Opéra national de Paris

La galerie de femmes qui gravitent autour de lui est plus stéréotypée. La fameuse mère, l’impératrice Sissi (Laura Hecquet), est la froideur aristocratique incarnée. La malheureuse épouse, la princesse Stéphanie (Silvia Saint-Martin), est l’archétype de la femme bafouée, rappelant la Lady Di telle que réhabilitée ces dernières années. Mizzi Caspar, flamboyante demi-mondaine, illumine la scène sous les pas acérés de Valentine Colasante. La comtesse Larisch (Hannah O’Neill) en maîtresse aguerrie, rappelle la vénéneuse marquise de Merteuil des Liaisons dangereuses et Mary Vetsera (Dorothée Gilbert) ressemble d'abord à une Cécile de Volanges, contaminée par le poison de son maître. Son personnage, pourtant clef, semble n’avoir été qu’effleuré, bien que le prologue et le finale de l’œuvre lui soient dédiés. Dorothée Gilbert la campe de manière ingénue. Cette impression renforce l’idée selon laquelle la jeune baronne a été manipulée par un Rodolphe assassin. Malheureusement, leur rencontre et leur passion sont bien peu développées.

Hugo Marchand (le prince Rodolphe) et Dorothée Gilbert (Mary Vetsera)
© Ann Ray / Opéra national de Paris

Mayerling a donc un goût d'inachevé. La chorégraphie fait la part belle aux portés acrobatiques, promettant des moments forts mais ils n'innovent pas par rapport à ceux de la plus aboutie Histoire de Manon, ou du langage extatique utilisé par Neumeier et Cranko à la même époque. La question de cette entrée au répertoire se pose. Il reste à espérer que des ballets narratifs aussi ambitieux éclosent sous la direction de José Martinez, fraîchement nommé successeur d'Aurélie Dupont à la tête du Ballet de l'Opéra. 

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