« Femmes de pouvoir » c’est ainsi que s’intitule le concert proposé par « Les Grandes Voix ». On n’en saura pas plus, le double feuillet remis au public, qui tient lieu de programme de salle, étant muet sur le concept, les compositeurs et les œuvres au programme !
Il aurait pourtant été intéressant de savoir pourquoi les deux héroïnes de la soirée, la soprano Marina Rebeka et la mezzo-soprano Karine Deshayes avaient choisi d’aborder des rôles « lourds » dès le début de leur programme, rompant avec l’habitude de ce genre de récitals, qui consiste à « s’échauffer » en première partie avec des répertoires plus légers, pour aller crescendo vers des airs plus exposés en fin de concert.
On admire la prouesse mais on demeure dubitatif quant à l’intérêt purement musical d’enchaîner, en première partie, quatre airs et un duo tirés de Maria Stuarda et Anna Bolena (à moins que ce ne soit pour justifier le titre du concert !). À part un bref prélude, rien pour l’Orchestre de chambre de Paris et sa cheffe d’un soir, Speranza Scappucci, pas un intermède ou une pièce d’orchestre qui permette aux cantatrices comme au public de respirer un peu entre des airs aussi denses.
Mais laissons là les regrets. Le public était venu applaudir de grandes voix, de belles artistes et il a été gâté.
Le reste est affaire de goût. On ne fait plus l’éloge de la technique superlative, de l’ampleur des moyens vocaux de la chanteuse lettone, Marina Rebeka, qui triomphe sur toutes les grandes scènes. On peut être parfois gêné par les couleurs changeantes d’une voix qui gagnerait, surtout en récital, à moins abuser des décibels, mais on n’a aucun doute sur ses capacités à incarner, tour à tour, une reine d’Ecosse ou l’épouse d’Henri VIII.
A ses côtés Karine Deshayes n’a pas non plus à faire ses preuves : rôle après rôle depuis ses débuts dans la troupe de l’Opéra de Lyon, c’est un parcours sans faute, qui lui permet aujourd’hui d’aborder Norma, à Aix l’été dernier, et tout récemment la Comtesse des Noces de Figaro au Capitole de Toulouse. Chez la Française, c’est l’évolution de la couleur, sinon de la tessiture, de la voix qui retient l’attention de ceux qui la suivent depuis longtemps : moins grave, moins sombre, le mezzo des débuts semble avoir évolué vers le soprano lyrique.
Il en résulte, dans la première partie du récital, une légère frustration, un déficit d’ombre, de profondeur, dans ses airs d’Elisabeth (Maria Stuarda) et de Jane Seymour (Anna Bolena). Et dans le duo « Dio che mi vedi un core », une différenciation qu’on eût souhaitée plus forte entre les deux chanteuses, et une tendance de la soprano à couvrir systématiquement sa consoeur.
Après cette longue première partie, la seconde se présente de manière plus classique. Une ouverture, celle de Sémiramis, qu’on trouvera bien poussive, malgré les superbes interventions des cors et des bois – que de nouvelles recrues ! – de l’Orchestre de chambre de Paris. L’ex-cheffe de l’Opéra de Liège nous paraît soudain comme empruntée, s’attardant sur les détails, mais en panne de l’irrésistible élan rossinien.
Un élan qui ne manquera pas à Karine Deshayes dans l’air le plus célèbre de Sémiramis « Bel raggio lusinghier » où l’on admire tout à la fois la plastique époustouflante d’une voix à son acmé et une absolue maîtrise de l'art du chant rossinien.
La soirée s’achève avec deux tubes : Marina Rebeka est impériale dans un « Casta diva » presque trop parfait, tandis que les deux cantatrices se rejoignent pour un « Mira, o Norma » à faire fondre les plus endurcis, déclenchant l’interminable ovation d’un public aux anges ! Il fallait bien Mozart et le « doux zéphyr » du duettino Suzanne/Comtesse des Noces pour nous remettre de tant d’émotions fortes.