Le programme choisi par la jeune compagnie cubaine Malpaso pour ses débuts au Théâtre des Champs-Élysées est plutôt décousu. Après Tabula Rasa d’Ohad Naharin (spectacle introverti et contemplatif de plus de trente ans pour dix danseurs), la création de 2013 d’Osnel Delgado 24 Hours and a Dog apporte sa chorégraphie dynamique et jazzy, réunissant les danseurs dans une ambiance joyeuse et colorée. Entre ces deux extrémités, le duo woman with water de Mats Ek donne, à défaut de lien, une variété stylistique supplémentaire à la soirée.
Tabula Rasa est une chorégraphie plutôt douce et méditative – comparée à certaines œuvres très énergiques et dynamiques d’Ohad Naharin. La musique d’Arvo Pärt contribue à nous plonger dans une langueur contemplative. Les mouvements suivent le minimalisme de la musique, notamment lors d’un long passage où les danseurs se balancent d’un pied sur l’autre, l’un à la suite des autres en sortant des coulisses, formant ainsi une ligne de balancier permanent. Une certaine pureté du geste émane de l’œuvre et des danseurs qui se dévoilent en toute simplicité. L'exécution technique est excellente mais l'ensemble laisse l'impression que les danseurs n’osent pas encore habiter pleinement le plateau et la chorégraphie lors de cette première partie. Le style d’Ohad Naharin était-il le plus approprié à la personnalité de la jeune compagnie ?
Changement d’ambiance : des projecteurs apparaissent côté jardin et une table verte est amenée côté cour ; le décor de woman with water est dressé. Le duo porté par Dunia Acosta et Osnel Delgado est une réussite. La danseuse aux bras immenses s’empare de la chorégraphie de Mats Ek avec aisance. Charismatique, elle parcourt l’espace avec puissance. Directeur de la compagnie et chorégraphe lui-même, Osnel Delgado est également impeccable en partenaire souple et ferme. Il amène deux verres d’eau à la femme en rouge : le premier semble étancher sa soif et lui donner de l’énergie, le deuxième paraît la tuer ; elle s’écroule au sol. On reconnaît le talent de Mats Ek qui semble au premier abord dessiner une scène de vie quotidienne qui se révèle être beaucoup plus profonde que cela. Le duo s’achève sur l’image de l’homme qui passe la serpillère pour nettoyer le sol de l'eau répandue et pousser sa partenaire en coulisses, sous les rires amusés du public.
Enfin, le dernier spectacle de la soirée est celui dans lequel la compagnie brillera le plus collectivement – et pour cause, la chorégraphie a été écrite par son directeur et danseur Osnel Delgado. 24 Hours and a Dog est une chorégraphie joyeuse et dynamique. La musique jazz et rythmée d’Arturo O’Farrill et de l’Afro Latin Jazz Ensemble contribue à une ambiance de comédie musicale. Sur des fonds aux couleurs vives, les danseurs aux hauts colorés et les danseuses aux jupes courtes courent comme si un chien les poursuivait, se lancent dans des portés, et s’expriment dans les sauts et les mouvements de déhanchés avec spontanéité et légèreté. On remarque les magnifiques solos d’Osnel Delgado, parfaitement agile et joyeux. L’univers de l’artiste cubain rappelle tout à fait l’univers de certaines œuvres de Jérôme Robbins, comme Fancy Free ou West Side Story.
Saluons l’énergie et la cohésion de la compagnie qui apporte un souffle joyeux et dynamique à la danse contemporaine ! On ne peut qu’espérer revoir prochainement la Malpaso Dance Company en France.