Le hasard du calendrier a de quoi rendre les mahlériens finnophiles heureux, car à peine un mois après Mikko Franck et sa phalange radiophonique, c’est au tour de Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris de s’atteler à l’émouvante Deuxième Symphonie dite « Résurrection » de Gustav Mahler.

Klaus Mäkelä dirige l'Orchestre de Paris
© Mathias Benguigui

Ce n’est cependant pas l’émotion qui a caractérisé la première partie de concert, vouée à la création d’une œuvre commandée par l’Orchestre de Paris à Betsy Jolas : Latest. Malgré un large contingent de percussions en tous genres, à l’instar des chaînes qui ouvrent la partition (on a connu plus poétique), l’œuvre n’est pas percussive pour autant, et la pulsation est si erratique que le souffle finit par faire défaut. L’attention notable portée aux textures et à la matière instrumentale ne contribue pas à concentrer le propos mais entretient au contraire une forme d’éparpillement dans cette obscure composition où n’existent plus ni horizontalité, ni verticalité, ni finalement direction.

Un entracte plus tard, c’est une véritable déclaration de guerre que fait entendre l’Orchestre de Paris et, tandis qu’il fait jaillir l’angoisse du trémolo de cordes initial avec une emphase presqu’insolente, Klaus Mäkelä lance les féroces contrebasses dans la sauvagerie du premier mouvement. Ni grave ni solennelle, cette marche funèbre prend sous sa baguette de furieux accents belliqueux, autoritaires et inflexibles.

Mari Eriksmoen, Klaus Mäkelä et Wiebke Lehmkuhl
© Mathias Benguigui

Par la suite, le deuxième mouvement censé incarner l’enchantement de la vie terrestre paraît encore orageux, et le troisième mouvement manque singulièrement de sarcasme. Si ces trois premiers mouvements parent cette Résurrection d’une esthétique tellurique, celle-ci ne lestera cependant pas son ascension dans l’Urlicht. La contralto Wiebke Lehmkuhl côtoie les cimes dans ce lumineux quatrième mouvement où chaque note, empreinte de piété et de recueillement, se laisse transpercer par un métal chaleureux, où chaque mot se fait un sommet d’exaltation ; malgré l’absence de legato dans l’accompagnement de hautbois, chaque mesure serre un peu plus le cœur de l’auditeur. On peine à imaginer meilleur conditionnement pour l’incendie du dernier mouvement, soutenu ici par un chœur en airain sur lequel Mari Eriksmoen pose son timbre iridescent.

Klaus Mäkelä et le Chœur de l'Orchestre de Paris
© Mathias Benguigui

Radicalement opposée à la préciosité du beau son, la démarche de Mäkelä n’est cependant jamais de flatter l’oreille – en attestent la pétarade de trombones et les sifflements acérés de la petite harmonie – mais bien d’ébranler l’auditeur dans ses entrailles : avec lui, la musique atteint brusquement sa pleine dimension viscérale. Là réside peut-être la force de ce chef qui, pour parvenir à un tel niveau d’embrasement, se fait maître des effets : geste volubile, dynamique orchestrale extrême et dilatation insolente du tempo sont ses trois instruments… C’est peu, mais efficace ! Malheureusement, cette force est aussi sa faiblesse : de tels séismes, de telles avalanches de décibels, de tels acmés successifs produisent une alternance binaire de tensions et de résolutions qui devient redondante et prévisible. Dès lors, le magnétisme se tarit et, à force de se prendre autant de coups, l’auditeur finit sourd ou assommé. En plus de se faire moins démonstratif, Klaus Mäkelä gagnerait certainement à doser ses charges, et à prendre pour guide la cohésion plutôt que l’effet.

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