Ce n’est pas la première représentation des Perles de Cléopâtre dans la mise en scène de Barrie Kosky, loin de là ! Ce 2 décembre marque le retour au Komische Oper de cette production pour une 44e représentation, ce dont le public berlinois ne se lasse pas puisque la salle est comble et que les rires sont au rendez-vous tout au long de la soirée.

Les Perles de Cléopâtre au Komische Oper
© Iko Freese / drama-berlin.de

L’intrigue est assez simple. Cléopâtre a tout, la richesse, le pouvoir... Seul l’amour manque au tableau. Elle enchaîne les aventures et séduit les hommes grâce à ses fameuses perles, qu’elle mélange à un verre de vin. Finalement sa quête d’amour vient à bout de tout, des stratagèmes politiques de Pampylos, des velléités de rébellion de Kophra et Silvius, et même jusqu’au risque d’invasion par les Romains et, à leur tête, Marc-Antoine. Pour faire revivre cette opérette d’Oscar Straus peu reprise depuis sa création dans les années 20, l’ancien directeur du Komische Oper s’en est donné à cœur joie dans le registre de la comédie burlesque. La couleur est annoncée dès les premières minutes, alors que les danseurs et le chœur envahissent le parterre et les balcons pour nous emporter dans leur univers en lançant des cotillons roses et blancs sur les spectateurs : « Hello Berlin. It’s showtime ! », s’exclame Alma Sadé (dans le rôle de Charmian) depuis le balcon avant de rejoindre les danseurs sur scène.

Les décors en noir et blanc, presque psychédéliques, contrastent avec les costumes colorés des personnes principaux et du chœur. Les douze danseurs quant à eux ont le visage peint en blanc et les cheveux travaillés comme des statues antiques, comme pour qu’ils se fondent dans le décor monochrome. Mais plus les minutes passent, plus il y a de paillettes (jusqu’aux tétons des danseurs) et de plumes sur scène. On se croirait presque au cabaret !

Les Perles de Cléopâtre au Komische Oper
© Iko Freese / drama-berlin.de

On l’aura compris, les mots clés de cette soirée à la cour de Cléopâtre sont donc comique et extravagance olé olé. Les blagues ne manquent pas, en commençant par Pampylos, conseiller politique de la reine magnifiquement interprété par Stefan Sevenich, qui sort une lettre de son porte-jarretelles dès les premières scènes et s’autorise quelques clins d’œil à l’actualité : « Si j’étais aussi jeune que toi, je serais entraîneur de la Mannschaft », lance-t-il à Beladonis quelques jours après la défaite de l’équipe nationale allemande à la Coupe du monde. 

Les entrées de Cléopâtre sont à la fois superbes et hilarantes. Dagmar Manzel est autant chanteuse que ventriloque et donne la réplique à Ingeborg, une petite marionnette en forme de chat blanc qui ne quitte pas son bras. Ses costumes sont plus extravagants les uns que les autres : on retiendra particulièrement son entrée sur un fond de plumes blanches, en robe immaculée, avec une coiffe – elle aussi en plumes blanches.

Les Perles de Cléopâtre au Komische Oper
© Iko Freese / drama-berlin.de

Même lorsque la révolution guette, le sujet est traité avec humour. Kophra (Peter Renz) apparaît avec des petites lunettes de soleil rondes (pour passer incognito) et un béret rouge à la Che Guevara et enchaîne les « Viva la revolución! » le point levé. Aux côtés de Dagmar Manzel, Dominik Köninger interprète le bellâtre Silvius avec de plus en plus d’aisance à mesure que la soirée passe. 

Les musiciens de l’orchestre s’amusent également avec beaucoup de beaux solos, comme la flûte lors de l’entrée de Beladonis (Johannes Dunz) ou le violon qui accompagne Cléopâtre dans son moment mélancolique juste avant l'entracte. Et ils s’embarquent dans des passages modernes swingués pour le plus grand plaisir des danseurs. Adam Benzwi dirige depuis le piano et donne également de superbes solos jazzy lors des scènes de séduction de Cléopâtre. De son côté, Dagmar Manzel n’hésite pas à abattre le quatrième mur en s’adressant au chef à la fin de ses interventions au piano. Et en habituée du Komische Oper, elle enchaîne les références aux autres pièces où elle a joué ces dernières années, du beau « L'Chaim » en levant son verre (clin d'œil à son rôle de Golde dans Un violon sur le toit) à son tailleur français (le même que Madeleine de Faublas dans Ball im Savoy). 

La soirée se clôture avec le duo de Marc-Antoine et Cléopâtre. Cette dernière n’a plus de vin à lui offrir pour le séduire en y mélangeant ses fameuses perles, mais seulement de la bière berlinoise... Les perles vont-elles avoir un effet avec la bière, s’inquiète-t-elle ? Peter Renz, parfait dans son rôle de Marc-Antoine, la rassure : il n'a pas besoin de perles, il est déjà amoureux. Ils s’enferment alors dans le sarcophage et c’est la marionnette de Cléopâtre qui donne le mot de la fin.

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