Après la création à Compiègne, Les Bains macabres s’installent à l’Athénée pour sept dates. Commande des Frivolités Parisiennes et du Théâtre Impérial de Compiègne, le premier opéra de Guillaume Connesson est un objet musical aussi singulier que le livret d’Olivier Bleys truffé de références théâtrales et cinématographiques.
La station thermale Le Terminus est le cadre bien nommé de soins parfois expéditifs : des curistes de plus en plus nombreux y trépassent mystérieusement dans leur baignoire ! La jeune et belle employée Célia y subit les avances de son sinistre patron tout en rêvant au mariage… Hélas, le beau fiancé Mathéo fait partie des victimes, mais elle peut communiquer avec lui par une mystérieuse webcam. Les amoureux se retrouveront-ils, la police identifiera-t-elle les coupables des meurtres ? Autant de questions qui trouveront leurs réponses dans un décor bleuté et transparent évoquant la douceur des éléments marins et la blancheur de l’au-delà. Des parois translucides mobiles sont le support de diverses projections et révèlent les différents endroits de l’action – commissariat, chambre de Célia et salle de soin agrémentées de baignoires. Le metteur en scène Florent Siaud et le scénographe Philippe Miesch ont également ménagé un étage supérieur pour les fantômes des trépassés où une baignoire toute spéciale leur permet de redescendre parmi les vivants s’ils osent s’y noyer à nouveau.
Ce sujet fantastique évoque un genre cinématographique savoureux ; on pense souvent au Heaven can wait de Lubitsch, 8 et demi de Fellini (la thalasso soignant la dépression), voire L'Aventure de madame Muir de Mankiewicz. L’enquête policière et ses rebondissements en huis clos évoquent irrésistiblement Huit femmes… Pour illustrer cette intrigue pleine de fantaisie, Connesson a concocté une partition splendidement colorée, aux influences multiples où le léger alterne avec l’élégie la plus expressive. Le compositeur manie topiques musicales avec une brillante virtuosité : la fébrilité de l’enquête évoque Bernard Hermann (avec une machine à écrire dans le pupitre de percussions), la préparation de la cérémonie John Adams, et la plainte de Mathéo (le fiancé fantôme) le Debussy de Pelléas ou quelque Poulenc. On songe également au Chabrier de L'Étoile dans le premier duo animé et piquant des enquêteurs. Au-delà de ces hommages stylistiques, le souffle de l’inspiration ne manque guère et le chef néerlandais Arie Van Beek détaille efficacement une orchestration délicieusement raffinée où chaque pupitre paraît très investi.
La soprano Sandrine Buendia possède toute l’agilité et le feu nécessaires à une héroïne passionnée. Elle fait valoir une belle assise du médium dans les couleurs plus suaves du sentiment amoureux. Romain Dayez, son fantomatique fiancé, a la lourde tâche de passer rapidement de l’héroïsme à l’élégie ; la voix passe les crescendo de l’orchestre et fait valoir un timbre homogène et prenant jusque dans les plus infimes pianissimo. Geoffroy Buffière est un policier balourd et maladroit mais le timbre est comme à son habitude d’un très riche métal. Si la voix de sa coéquipière Anna Destraël ne franchit pas toujours la rampe, son abattage et un sens rythmique épatant font merveille. Fabien Hyon incarne un directeur d’établissement odieux tout à fait délectable, sa voix lumineuse et une diction élégante se jouent admirablement d’une partition particulièrement éprouvante. La basse Nicolas Certenais campe un député Aristide menaçant dont l’autorité vocale est très assurée.
Pas de petits rôles dans cet opéra : les trois curistes Jérémie Brocard (basse), Benjamin Mayenobe (baryton) et Benoît-Joseph Meyer (ténor) attestent une aisance vocale et un sens de la scène remarquable. C’est le chœur Les Éléments de Joël Suhubiette qui figurera les curistes vivants et trépassés. Rompus à l’art de la scène, ils ont su ce soir apporter une belle homogénéité aux chœurs enthousiastes de la vie et faire frissonner un public ravi dans les dangereux glissando de la mort.