Ballet composé en 2021 par Bruno Bouché pour le Ballet de l’Opéra national du Rhin et présenté la semaine dernière au Théâtre du Châtelet, Les Ailes du désir s’inspire du chef-d’œuvre éponyme du cinéaste Wim Wenders. Dans le décor d’un Berlin partitionné, des anges se penchent au-dessus du monde et écoutent murmurer les âmes humaines. L’un d’eux, touché par la grâce d’une trapéziste ailée, choisit de descendre sur terre pour vivre une condition humaine. Ce film-conte aussi allégorique que sensible est malheureusement restitué par Bruno Bouché dans un ballet d’une grande platitude, qui parodie les scènes du film sans en rendre l’esprit.
Dans la fiction de Wim Wenders, seuls les enfants parviennent à distinguer les anges qui frayent parmi les hommes. Le film s’ouvre sur l’image symbolique d’une petite fille apercevant un ange perché sur la corniche ébréchée d’une église gothique bombardée. Dans le ballet de Bruno Bouché, une petite fille se dresse aussi dans le public, le visage éclairé par un projecteur, avant que le rideau ne s’ouvre. La création se poursuit ainsi, reprenant les grands éléments de l’action ou du décor qui composent le film, sans parvenir à en insuffler la puissance poétique. Lors de la première scène de l’acte I, des anges vêtus d’imperméables gris tournoient sur scène, les mêmes que ceux du film. Les citations se multiplient ensuite : des passants déambulent à toute vitesse, la femme en justaucorps ailé s’élance d’avant en arrière comme sur un trapèze, un ange médite longuement dans les rues et face à un miroir.
Ce qui tient lieu de chorégraphie ressemble plutôt à un bric-à-brac artistique empruntant à tout ce qu’on a déjà pu voir sur scène. Le pas-de-deux amoureux entre l’ange et la trapéziste (où l’ange reproduit en décalé les mouvements de sa belle) produit un effet vu et revu, tandis que l’acte II répète paresseusement des mouvements classiques assez basiques (manèges de grands jetés, portés traînés, tours fouettés) et plutôt mal exécutés. Certaines scènes enfin, loin de nous emmener dans les sphères célestes des anges de Wenders, nous ramènent tristement à terre : celle colorée des passants de Shibuya ressemble à clip Benetton plutôt qu’à un ballet contemporain, tandis que la danse de la troupe parée d’accoutrements en cuir noir sur les accents capiteux de « Silence is sexy » ne présente aucune autre forme de chorégraphie qu’un tortillement des hanches sur scène.
Il faut dire que le ballet aurait pu gagner en solennité en s’appuyant sur la bande originale méditative de Jürgen Knieper. Au lieu de cela, la création de Bruno Bouché utilise un patchwork musical incroyablement incohérent : des extraits de Sibelius et de Messiaen (réservés aux scènes sans couleurs) se mêlent aux partitions de Steve Reich ou de Bach mais aussi à la pop allemande lourdingue d’Einstürzende Neubauten ou à celle plus mièvre d’Antony and the Johnsons.
Du côté de la scénographie, le ballet joue sur la fameuse dichotomie entre scènes en noir et blanc et scènes en couleur qui caractérise le film. Sur scène, le monde des anges est représenté en noir et blanc, alors que celui des humains éclate de couleurs. Cette simplification ne coïncide pas exactement avec le film, plus subtil, où le passage à la couleur ne s’opère que lorsque l’ange adopte la condition mortelle, mais pleine de clarté. Le décor, quant à lui, réussit à donner dans l’excessif malgré son dépouillement : une enseigne lumineuse en forme de W (pour Wim Wenders, on l’aura compris) surplombe la scène. Était-ce nécessaire ? Si proche des codes du film, mais si loin de sa portée symbolique, on retrouve in fine le sourire angélique de l’enfant face à l’ange, et celui-ci nous apparaît plus étranger encore qu’au début de ces périlleuses Ailes du désir.