Après un faux départ dû à la pandémie (cette production du Voyage dans la Lune a été créée à l’Opéra de Montpellier en décembre 2020, mais devant un parterre très réduit de happy few), les voyageurs pour la Lune peuvent enfin effectuer leur périple qui, avant l’alunissage final prévu à Neuchâtel le 2 avril 2023, les conduit à travers la France dans de nombreuses villes de province. Alors que la production fait escale à l'Opéra de Massy, on commence donc à bien connaître les beautés de l’œuvre, d’autant qu’elle a fait l’objet d’un enregistrement soigné par le Palazzetto Bru Zane, qui co-produit le spectacle : les pages composées pour Caprice et Fantasia sont ravissantes (et assez exigeantes vocalement), les ballets comptent sans doute parmi les plus séduisants du compositeur, et plusieurs morceaux (le galop qui clôt le troisième acte, le finale « de la Neige », le rondo de l’obus) manifestent un irrésistible entrain tout offenbachien.
En 2020, il avait fallu adapter l’œuvre pour qu’elle puisse être jouée en deux heures sans entracte, contraintes sanitaires obligent. On pouvait espérer que le découpage de l’œuvre serait revu et que plusieurs pages supprimées seraient aujourd’hui rétablies. Ce n’est pas le cas. Si l’on s’accommode assez bien de diverses coupures (il paraît bien difficile de respecter à la lettre la succession de 23 tableaux prévue par les librettistes !), d’autres sont parfois préjudiciables à l’équilibre de certaines pièces et nous apparaissent moins justifiables, surtout lorsqu’il s’agit de tronquer dans les ballets, les désopilants couplets dans lesquels Caprice prédit aux voyages « en obus » un succès risquant de faire de l’ombre aux chemins de fer (!), ou encore la ronde des Charlatans du troisième acte, véritable tube en son temps (elle fut trissée à la création !).
La mise en scène d’Olivier Fredj, qui situe l’œuvre sur le plateau du tournage du film homonyme de Méliès (1902), joue le jeu de la fantaisie la plus débridée et du pur burlesque, et ne cède heureusement pas aux tentations trop faciles de la réactualisation. Le metteur en scène n’oublie jamais le genre auquel ressortit l’œuvre (la féerie), et offre aux spectateurs des tableaux le plus souvent surprenants et extrêmement séduisants visuellement, grâce également aux décors et aux costumes pleins de fantaisie de Malika Chauveau.
Musicalement, l’œuvre n’est pas si facile à réussir tant la distribution est nombreuse et nécessite de véritables chanteurs-comédiens. L’équipe réunie pour les représentations à Massy tire habilement son épingle du jeu. À la tête de l'Orchestre de l'Opéra, Chloé Dufresne choisit des tempos relativement sages : on aurait aimé, ici ou là, qu’elle fasse jouer les rouages de la mécanique offenbachienne avec un peu plus de punch et de vivacité, mais enfin la cheffe tient ses troupes et parvient à rattraper les légers décalages qui surviennent parfois (finale de la Neige au troisième acte). D’une équipe de chanteurs dynamique et pleinement impliquée se détachent notamment Matthieu Lécroart et Pierre Derhet pour l’excellent équilibre offert entre la qualité du chant et celle de la diction. Le premier ne fait qu’une bouchée des couplets du roi V’lan, dont on ne perd pas une syllabe. Le second est désopilant dans les multiples rôles qui lui échoient (« hôtesse de l’air » à bord de l’obus, traducteur en langue des signes du procès du quatrième acte…). Il détaille enfin les couplets du rondo du Prince Quipasseparla avec facilité et humour : un jeune ténor qui, à n’en pas douter, présente des affinités certaines avec le répertoire léger !
Jennifer Michel finit mieux la soirée qu’elle ne la commence : la voix manque de rondeur et de velouté dans son air d’entrée ; c’est déjà moins le cas dans la romance « Ô reine de la nuit », et par la suite l’émission vocale se fera nettement plus ductile. Le personnage est incarné avec humour, mais les paroles des parties chantées sont hélas souvent peu intelligibles. Sheva Tehoval a toute l’agilité et la précision requises par les vocalises et les aigus dévolus à Fantasia, ce qui ne l’empêche nullement de faire entendre un timbre étonnamment chaud et dense pour un soprano léger. Signalons enfin, dans le petit rôle de Flamma, les courtes mais belles interventions de Ludivine Gombert, au chant soigné et à la diction très claire.
Gardons-nous enfin d’oublier de citer les formidables danseurs-acrobates (menés par Fanny Rouyé) dont les interventions ponctuent le spectacle de façon poétique et/ou cocasse, et nos compliments au chien Okami, très à l’aise scéniquement… et vocalement, avec des interventions « chantées » particulièrement bienvenues lors des bis !