Pour célébrer les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Paris propose la reprise du Lac des cygnes, dont la dernière représentation remontait à l’année précédant l’épidémie de Covid-19. Créé en 1895 par Marius Petipa et Lev Ivanov sur la sublime partition de Tchaïkovski, ce ballet romantique ayant traversé les frontières et les époques est un chef-d’œuvre intemporel de pureté et de minimalisme. La chorégraphie établie par Rudolf Noureev en 1984 a doté l’Opéra de Paris d’une version aussi pleine de sensibilité que de difficulté, nécessitant des interprètes de haut vol.
Si la presse s’est émue du départ bruyant de François Alu le mois dernier et de la pénurie d’étoiles dans le Ballet pour interpréter ce grand moment de danse (entre cette démission, les blessures et autres congés maternité), c’était sans compter le magnifique talent de Paul Marque – sans doute l’étoile le plus virtuose du Ballet, et tout à fait fringant du haut de ses vingt-cinq ans – qui assurera une majorité des représentations. À ses côtés, Valentine Colasante réalise une belle démonstration technique, mais qui manque un peu de magie lors des actes en blanc. Cette nouvelle série du Lac des cygnes est enfin l’occasion de découvrir le potentiel d’une nouvelle génération dans les rôles de demi-solistes, particulièrement prometteuse chez les jeunes danseuses, ce qui tranche après plusieurs années d’espoirs nourris par les performances masculines.
En Prince Siegfried, Paul Marque ne pouvait pas décevoir. Ce rôle de héros tourmenté conçu par Noureev sied bien aux jeunes hommes et aux virtuoses. L’étoile, qui avait remporté la médaille d’or du Concours international de Varna à seulement 19 ans, ne cesse pas de nous stupéfier par son amplitude de saut, ses tours interminables et la grâce de ses réceptions. Une pirouette de sept tours en guise d’introduction, des sauts vertigineux et des bras magnifiques lors des adages : Paul Marque éblouit lors de cette première. Le moindre pas de transition est une prouesse technique, et aucun détail n’est négligé. Dans le rôle du cygne blanc et noir, Valentine Colasante est davantage en demi-teinte : danseuse au registre très marqué et terrien, elle interprète un cygne noir audacieux et stupéfiant de technique (avec des doubles tours renversés et de jolies diagonales), mais manque d’un soupçon de féérie en cygne blanc. Les ailes de Valentine Colasante ne sont pas les plus éthérées que l’on ait pu voir. Tellement axé sur la performance, le couple d’étoiles manque aussi un peu d’amour et aurait pu davantage développer la relation de leurs personnages.
Dans le rôle maléfique de Rothbart, Jérémy-Loup Quer nous laisse plus circonspecte. Si ce n’est sa stature altière, le danseur n’a pas vraiment l’envergure d’un grand magicien et ne parvient pas à forcer l’interprétation de son personnage. Lors des passages de figuration en fond de scène, il semble même s’oublier – retrouvant le visage avenant qui est le sien. Sa différence de carrure avec Paul Marque lui permet en revanche d’avoir un ascendant qui fonctionne bien, renforçant la fragilité psychologique du prince imaginée par Noureev. Lucie Fenwick n’est pas plus convaincante en reine-mère, avec une pantomime un rien mécanique.
Aussi emblématiques qu’hypnotiques, les deux actes en blanc du Lac des cygnes font toute la magie de ce ballet d’une remarquable pureté de lignes. On ne peut que saluer le travail pointilleux de ces trente-deux cygnes impeccables dont émergent quelques talents visibles même au dernier rang, tels que Bleuenn Battistoni, Inès Mcintosh ou encore Bianca Scudamore. Dans les rôles de solistes, Hannah O’Neill et Roxane Stojanov offrent une belle présence en scène et de superbes diagonales de tours, malgré quelques réceptions de sauts parfois moins lestes pour Roxane Stojanov. Leur partenaire, Axel Magliano, est plus fébrile, avec une prodigieuse élévation malheureusement accompagnée d’un manque de netteté dans les réceptions au sol. Aux antipodes du corps de ballet féminin, les danseurs réalisent un premier acte particulièrement brouillon, avec des placements peu rigoureux et des sauts à géométrie et hauteur variables, qui ternissent un tableau d’ensemble pourtant enthousiasmant.