Fruit d’une collaboration entre le Palazzetto Bru Zane et l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, la production de ce jeudi soir à la Halle aux Grains restaurait le célèbre opéra-bouffe de Jacques Offenbach dans sa version initiale de 1866, remaniée à de nombreuses reprises par la suite par le compositeur lui-même. La coproduction proposait ainsi un opéra en version concert où tout le défi résidait sans doute dans la gestion des longueurs restaurées de la création originale que l’histoire avait jusque-là sacrifiées. Le tout était conduit par un Romain Dumas extrêmement enthousiaste, pétillant et habitué de l’œuvre.

La Vie parisienne à la Halle aux Grains, dirigée par Romain Dumas
© Romain Alcaraz

Dès les premiers morceaux, les amoureux d’Offenbach sont étonnés de ne pas entendre le premier air de Métella et cette version originale a cet avantage de surprendre tout le public, connaisseur comme néophyte. Si les premiers sont d’abord surpris de ne pas retrouver certains morceaux (comme l’air à boire « Tout tourne, tout danse »), ils sont ravis de voir dans un nouvel acte Bobinet et ses deux comparses en pleine gueule de bois et de découvrir le personnage haut en couleur de Madame de Quimper-Karadec au cœur de cet acte IV « ajouté ». Ce personnage amène une certaine folie, s’il en était besoin, à cette œuvre toujours survoltée et réjouissante.

Les voix sont, sans surprise avec un plateau aussi vaste, très hétérogènes : mais c’est surtout le rapport à l’œuvre et au texte qui explique quelque peu cette variété. La rapidité de l’œuvre et l’exigence d’articulation rend la tâche d’intelligibilité difficile aux voix suaves et chaudes d’Artavazd Sargsyan (Gardefeu) et Véronique Gens (Métella). Même leçon avec Sandrine Buendia (la Baronne) pour des raisons de choix interprétatifs cette fois : la mezzo adopte un chanté aristocratique avec un accent ethnique « danois » et avec un vibrato très prononcé. La voix du ténor Marc Mauillon (Bobinet) est en revanche un bijou de clarté et de prononciation, en plus de savoir exploser dans les fortissimos aux moments forts et de disparaître dans les moments plus anecdotiques. L’excellent Jérôme Boutillier (le Baron), baryton de son état, fait tout aussi bien retentir sa voix avec un dynamisme certain, tout comme Marie Gautrot (Mme de Quimper-Karadec) et Caroline Meng (Mme de Folle-Verdure). Anne-Catherine Gillet (Gabrielle) livre une gantière étincelante, et Pierre Derhet (Le Brésilien – Gontran – Frick) lui rend la pareille avec un jeu vocal et physique joliment maniéré.

La Vie parisienne à la Halle aux Grains
© Romain Alcaraz

Le coup de force de cette production est sans doute d’effacer quasiment la dimension purement concertante de l'événement, en proposant un jeu de scène bien collectif, les décors restant eux voués à l’imaginaire du spectateur. L’opposition des deux ténors, hommes du monde et roublards que sont Bobinet et Gardefeu va très loin, Marc Mauillon se révélant hyperactif comme hyperexpressif pendant quasiment trois heures, tandis qu'Artavazd Sargsyan incarne quant à lui une certaine force tranquille. La disposition du concert est inclue dans la démarche humoristique de l'interprétation puisque lorsqu’Elena Galitskaya (Pauline) demande au Baron (situé de l’autre côté de la scène) de venir plus près d’elle, celui-ci fait mine d’être entravé par les chaises du premier rang. Le passage des récitatifs aux airs est rendu fluide par l'inclusion des accents et de l’émotion dans le chant, déformé avec parcimonie mais beaucoup d’humour. Mais c’est surtout au début de l’acte IV avec le trio très parlant de Carl Ghazarossian (Joseph – Alphonse – Prosper), Philippe Estèphe (Urbain – Alfred) et Marc Mauillon que la salle ne tient plus en place de rire, tant le mal de tête de lendemain de fête est réaliste...

La Vie parisienne à la Halle aux Grains
© Romain Alcaraz

Préparé par Gabriel Bourgoin, le Chœur de l’Opéra national du Capitole ponctue la soirée de ses interventions, ouvrant la soirée avec force en incarnant les employés de la ligne de l’Ouest. Les pupitres quand ils interviennent séparés sont plus clairs que les tuttis, mais l’adéquation avec les solistes est totale, y compris quand il leur est demandé un minimum de participation à la « mise en scène » (quand ils chantent les mains sur le nez pour figurer l’éloignement, comme le fait du reste aussi Jérôme Boutillier). Voilà qui démontre utilement que les versions concert ne sont pas un simple entre-deux décevant entre le concert et la représentation théâtrale totale, mais peuvent être fort pertinentes, encore plus ici quand il s’agit de restaurer une version dissipée par la tradition.

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