En plein cœur du répertoire belcantiste, Vincenzo Bellini est avant tout affaire de voix et nos oreilles sont ressorties absolument comblées de la représentation liégeoise de La sonnambula. En tête de distribution, Jessica Pratt en Amina est bien la prima donna du moment : pianissimos éthérés et trilles suspendus d’un côté, vocalises rapides, suraigus stratosphériques et notes piquées d’une extrême précision de l’autre. Sa grande scène conclusive en forme de lieto fine – d’abord la triste cantilène « Ah ! non credea mirarti », suivie de la réjouissante cabalette « Ah non giunge » – déclenchera un tonnerre d’applaudissements.
En Elvino, le ténor René Barbera est un excellent partenaire, s’exprimant dans un volume largement supérieur à celui de nombre de ses confrères de format tenorino distribués dans ce rôle. La voix est ferme et homogène dès ses récitatifs au fort caractère, mais il sait garder la ligne élégiaque qu’on attend, par exemple celle qu’il déroule avec élégance dans son grand air de l'acte II qui conclut sur la vive cabalette « Ah ! Perché non posso odiarti ». Pratt et Barbera sont à coup sûr parmi les tout meilleurs belcantistes actuels, et leurs duos forment évidemment des passages de toute beauté.
La basse Marko Mimica compose un Comte Rodolfo inquiétant, à l’allure sévère et à la voix grave et profonde, aux résonances caverneuses mais parfois un peu monolithique pour ses rares passages agités. Aujourd’hui chanteuse de tout premier plan, c’est une chance d’écouter Marina Monzó distribuée en deuxième soprano en Lisa. L’instrument est souple pour les passages d’agilité, de belle qualité sur toute son étendue et l’interprète chante les reprises de ses airs avec des variations bien inspirées. Julie Bailly possède le timbre de Teresa, mère adoptive d’Amina, au petit vibrato serré pas désagréable, tandis qu’Ugo Rabec est également bien chantant dans le rôle plus modeste d’Alessio.
Directeur musical de la maison depuis le début de saison, Giampaolo Bisanti délivre une musique de belle qualité globale, disposant d’instrumentistes en bonne forme collective. On peut cependant lui reprocher la recherche de petits effets de diverses natures, plutôt que de servir la partition avec davantage de sobriété : effets de volumes d’abord en faisant régulièrement monter les décibels dans un opus qui n’en attend pas tant, effets rythmiques ensuite avec ralentissements marqués avant les reprises.
On est un peu moins convaincue par la nouvelle production de Jaco van Dormael, épaulé par Michèle Anne de Mey à la mise en scène, cette dernière prenant aussi en charge la chorégraphie. Le concept est que chaque soliste au chant a un double danseur ou danseuse (Amina en blanc, Lisa en rouge, etc.) qui s’exprime sur un podium surélevé au centre du plateau. Les mouvements, filmés en direct, sont projetés sur un écran en fond de plateau, parfois en surimpression de diverses petites vidéos montrant arbres, cascade, intérieur d’une chambre, cimetière lorsqu’Elvino évoque la tombe de sa mère. En rampant à terre, les danseurs filmés par-dessus depuis les cintres peuvent donner l’illusion, une fois projetés sur fond de nuages, de voler dans les airs. Ce procédé, original et poétique au démarrage, a tendance tout de même à s’épuiser, les décollages répétés faisant immanquablement rire le public.
Si on apprécie la performance des danseurs qui se contorsionnent, rampent, glissent à terre mais aussi rebondissent lorsque le sol devient un filet, on a toutefois l’impression d’un spectacle séparé qui se déroule en même temps que l’opéra chanté. Dès lors, tout vrai amateur d’opéra aura tendance à fixer le chanteur soliste au cours de son air, et se désintéresser des déplacements en arrière-plan, qui peuvent même être perçus comme parasites pour qui voudrait regarder la prestation du protagoniste. Il est à noter que les choristes, répartis en deux moitiés à gauche et droite du praticable et assis sur des chaises la majeure partie du temps, semblent assister le plus souvent, tout comme le public en salle, à une représentation de concert agrémentée d’une performance concomitante à l’arrière. En définitive, ce spectacle certainement abouti du point de vue de la réalisation ne se marie guère avec le charme de l’opéra bellinien.
Le voyage d'Irma a été en partie pris en charge par l'Opéra Royal de Wallonie-Liège.