Le L.A. Dance Project, compagnie fondée par Benjamin Millepied en 2012, est de retour sur la scène du Théâtre du Châtelet avec deux affiches : une nouvelle création de Benjamin Millepied et un programme consacré à trois chorégraphes américaines émergentes (Pam Tanowitz, Madeline Hollander et Bobbi Jene Smith). Malgré un accompagnement musical intimiste par un quatuor à cordes, cette seconde proposition brosse un tableau peu enthousiasmant de la création chorégraphique actuelle aux États-Unis. En s’inscrivant dans la tradition néoclassique américaine, Pam Tanowitz et Madeline Hollander tournent à vide, avec des compositions qui ne mettent pas en valeur les danseurs du L.A. Dance Project à la technique plus contemporaine. La création de Bobbi Jene Smith, absolument lumineuse, parvient à peine à réenchanter ce terne tableau.
Everyone keeps me, signé par Pam Tanowitz, ouvre le bal avec pesanteur. Une file de danseurs vêtus de pantalons à voilette s’avance bras-dessus, bras-dessous, glissant sur un sol recouvert de carrés fluorescents, tel un motif de Mondrian qui aurait traversé les années 1990. Le quatuor entonne alors les accords périlleux de la partition du compositeur contemporain Ted Hearne, à la fois saccadée et elliptique. Les danseurs tentent de traduire en mouvement cette musique, par des gestes tirés du répertoire classique et brutalement interrompus – équilibres instables, sauts arrêtés nets, tours figés – sans pour autant parvenir à se conformer à cette musicalité abrupte. Conçue à l’origine pour le Royal Ballet, la création – sans intérêt ni sur le fond ni sur la forme – présente une réelle difficulté d’exécution. Celle-ci semble bien mal calibrée pour les danseurs du L.A. Dance Project, moins rompus à la technique classique que le Royal Ballet, et qui multiplient les maladresses avec des équilibres chancelants et de rudes réceptions de sauts.
Dans la même idée d’une chorégraphie qui donnerait à voir la musique, mais avec une danse heureusement plus liée, Elastic Ballet de Madeline Hollander joue aussi avec la partition du jeune compositeur japonais Yuta Bandoh. Les danseurs en révèlent la gaieté en alternant les sauts enjoués, les pas courus, les rondes, et même quelques roues. L’un d’eux accourt sur scène avec une grande robe rouge et un sifflet. Une autre, suspendue par les pieds par son partenaire, mime un pas-de-deux classique avec ses avant-bras. La musicalité et l’alacrité qui traversent la pièce pastichent plus qu’elles ne rendent hommage à Jerome Robbins – chorégraphe emblématique du néoclassicisme américain. On ne peut s’empêcher de voir dans Elastic Ballet une pâle copie de Dances at a gathering, l’inspiration en moins.
Avec une troisième proposition de mise en relation entre les musiciens et les danseurs, Bobbi Jene Smith réussit enfin là où les autres ont échoué : transcender la musique en suscitant l’émotion. Son Quartet for Five, sur le Quatuor à cordes n° 5 de Philip Glass, plus contemporain, présente une rupture radicale (et bienvenue) dans le registre de danse. Formés auprès d’Ohad Naharin, pionnier de la danse contemporaine israélienne, Bobbi Jene Smith et son compagnon Or Schraiber s’inscrivent moins dans la tradition chorégraphique américaine que dans le sillage d’un style plus radical et plus minimal. Trois chaises noires occupent d’ailleurs un coin de scène à l’ouverture du rideau, clin d’œil à Echad mi yodea, l’œuvre emblématique d’Ohad Naharin dont le seul décor est une rangée de chaises noires. Dès les premiers instants, la danse magnifie la musique au travers d’un duo saisissant, qui rend visible le dialogue musical des cordes. Les mouvements de groupe se construisent de façon organique et se suspendent dans des images pleines de sensibilité. Les mêmes danseurs sont d’un seul coup révélés : intenses et vibrants dans un mouvement plus à l’écoute, mieux conçu pour eux.