Vingt-trois ans après sa dernière apparition salle FavartLa Dame blanche vient de nouveau hanter la place qui porte le nom de son compositeur, François-Adrien Boieldieu. Créé ici-même le 10 décembre 1825, cet archétype de l’opéra-comique – dont Wagner disait « C’est la plus belle qualité des Français qui s’exprime dans cet opéra » – connut un tel succès qu’il fut le premier ouvrage lyrique à atteindre 1000 représentations dans le lieu de sa création. Tombé en désuétude au XXe siècle, il revient à l’Opéra Comique, avec Julien Leroy à la direction musicale et Pauline Bureau à la mise en scène.

La Dame blanche à l'Opéra Comique
© Christophe Raynaud de Lage

Le livret d’Eugène Scribe s’inspire de deux romans de Walter Scott, très en vogue en France à l’époque, Guy Mannering et Le Monastère. Situant l’action dans l’Écosse de 1759, il réunit les ingrédients d’une comédie romantique, qu’il agrémente d’une petite dose de fantastique : un château à l’abandon sur le point d’être vendu aux enchères, un ancien régisseur, Gaveston, devenu riche qui s’en voit déjà propriétaire, une jeune fille, Anna, qui se déguise en « Dame blanche » pour hanter les lieux et ainsi empêcher la vente, un héritier amnésique qui croit se nommer Georges, un amour impossible entre les deux jeunes gens… Péripéties et rebondissements se succèdent et culminent dans une scène de vente à la bougie au bout de laquelle Georges, bien que sans fortune, porte in extremis l’enchère décisive sur ordre de la Dame blanche. Place alors au happy end : Anna retrouve le trésor familial caché dans le château, la vente est validée, la véritable identité de Georges est révélée, et les deux amoureux sont réunis.

La Dame blanche à l'Opéra Comique
© Christophe Raynaud de Lage

À l’image de la partition, dont le style oscille entre Grétry et Rossini, la mise en scène de Pauline Bureau joue sur l’ambivalence du livret : comédie ou romantisme gothique ? Pour ce faire, elle s’appuie sur un dispositif scénique réaliste non exempt d’une certaine fantaisie. Les décors d’Emmanuelle Roy figurent efficacement la lande écossaise au pied des montagnes, puis le château en déshérence. Les lumières de Jean-Luc Chanonat et la vidéo de Nathalie Cabrol apportent avec justesse couleur, poésie et quelques touches de surnaturel. Il s’en dégage une atmosphère assez immersive. Les costumes d’Alice Touvet, d’esprit contemporain, brouillent quelque peu les cartes avec leurs multiples sources d’inspiration. La direction d’acteur est soignée et peut compter sur des chanteurs-acteurs très engagés.

La Dame blanche à l'Opéra Comique
© Christophe Raynaud de Lage

Le plateau vocal est assez réjouissant. Philippe Talbot, qui avait brillé dans le rôle-titre du Comte Ory en 2017, retrouve en Georges Brown un personnage à la mesure de son talent et de ses aptitudes vocales. La ligne de chant est conduite avec toujours autant d’aisance et de souplesse, jusque dans les parties belcantistes les plus virtuoses. Les aigus, brillants, savent se faire ardents autant que délicats, particulièrement dans la cavatine « Viens, gentille dame », puis dans l’air écossais du dernier acte. Les graves manquent en revanche de projection et sont le plus souvent couverts par l’orchestre. L’engagement scénique est là, même si dans les dialogues parlés, le ténor semble moins à son aise et connaît quelques hésitations.

Face à lui – ou plutôt à ses côtés –, Elsa Benoit est une Anna remarquable. Superbement projetée, la voix impose son autorité, lorsqu’il s’agit de défendre les Avenel. Et quand Anna évoque ses souvenirs ou son amour pour Georges, l’impétuosité cède la place à douceur la plus exquise. De son soprano charnu et bien ancré, Sophie Marin-Degor campe une Jenny à la jovialité attachante. Avec beaucoup de subtilité, Jérôme Boutillier fait de Gaveston un méchant de comédie, détestable, mais pas trop. Son ample voix de baryton joue sans cesse avec malice entre autorité, arrogance et truculence. Dans le rôle de Marguerite, Aude Extrémo impressionne par une présence vocale et scénique peu commune. L’opulence de son mezzo-soprano au timbre si singulier confère à la nourrice une épaisseur, voire un magnétisme, qui vont bien au-delà de ce qui lui est dévolu par le livret et la partition. Même si le personnage de Dickson est un peu étroit pour lui, Yann Beuron, toujours excellent, s’amuse à donner vie à ce fermier peureux. Enfin, le baryton Yoann Dubruque est tout à fait convaincant dans le rôle du juge corrompu MacIrton. 

La Dame blanche à l'Opéra Comique
© Christophe Raynaud de Lage

En fosse, sous la direction enthousiaste de Julien Leroy, l’Orchestre National d’Île-de-France restitue plutôt bien à chaque élément de ce patchwork musical l’énergie et les couleurs qui lui sont propres, comme par exemple dans la très rossinienne fin du premier acte. Notons aussi la sensibilité avec laquelle le cor solo donne vie au « double instrumental » de Georges. Boieldieu a réservé aux chœurs un traitement très sophistiqué avec notamment des pupitres divisés pour certaines parties : Les Éléments relèvent ce défi avec brio.

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