Vendredi dernier, l’Orchestre symphonique de Montréal livrait La Création de Haydn à la Maison symphonique, en compagnie du chef Bernard Labadie et des solistes Miah Persson, Andrew Haji et James Atkinson. Après une semaine durement marquée par la tempête de verglas, il y avait assurément dans cette soirée de quoi réchauffer les cœurs.

Bernard Labadie dirige La Création à Montréal
© Antoine Saito

Limpidité, modération, expressivité : c’est à cette trinité de principes que semble se vouer le chef au fil de l’oratorio. L’orchestre ne se manifeste en effet que sur des paliers sonores très distincts. Les écarts de volume sont importants ; cependant les projections ne donnent jamais dans la surpuissance. Les mélodies, les contrechants, l’accompagnement, tout est ménagé et bien audible. Et le jeu se montre partout expressif, en accord avec la dimension figurative de l’œuvre. Dans « Rollend in schäumenden Wellen » (où la mer naissante s’agite furieusement), ce sont des violons, altos et violoncelles très nerveux qui gravissent et dévalent leurs traits de gamme. Dans « Auf starkem Fittiche schwinget sich » (l'apparition des oiseaux), des tierces extrêmement soudées aux bassons traduisent joliment le couple des colombes. On pense aussi à ce legato des violons qui puise aux quarts de ton pour évoquer les vers de terre se tortillant dans « Gleich öffnet sich der Erde Schoss » ; ou encore au pianoforte, dans le sixième récitatif, qui se laisse longtemps résonner et suggère plus fortement encore les étoiles.

À tout cela, Labadie joint — sans difficulté apparente — un Chœur de l'OSM de 40 voix où s’observent les mêmes principes : les pupitres ont respectivement l’espace qui leur revient, les dynamiques sont creusées, jamais forcées, et les phrases bien senties. On remarque chez les sopranos en particulier un grand contrôle des volumes, qui donne à l’ensemble beaucoup d’aspérités.

Pris séparément, les solistes présentent de très belles qualités. On note chez la soprano Miah Persson un timbre joliment velouté, un vibrato musclé et des envolées spectaculaires ; chez le ténor Andrew Haji, une appréciable douceur dans les moments où l’orchestre s’efface, en particulier à l’évocation de la lune dans « In vollem Glanze steiget jetzt » ; et chez la basse James Atkinson, une prononciation claire, une très belle expressivité et une intelligence du texte (les notes délicatement posées à la fin de « Und Gott machte das Firmament » figurent agréablement les flocons de neige). Un regret toutefois : les duos et trios sont marqués ici et là par un certain déséquilibre (la voix de Persson dominant celle de ses collègues).

C’est une bonne idée, par ailleurs, de projeter les surtitres en lettrage blanc sur un panneau de bois fixé sous la tribune de l’orgue, proche de la scène, plutôt que sur l’écran déroulant du plafond comme les techniciens le font parfois : non seulement c’est visible et joli, mais cela réduit considérablement la distance que doivent parcourir les yeux en oscillant de l’orchestre au texte. Dommage cependant qu’on les ait perdus vers la fin du concert, dans l’important dernier duo d’Adam et Ève !

Quand résonne le tout dernier accord, le public n’attend pas pour se lever et ovationner les musiciens. Par trois fois même, il les fait revenir sur scène, saluant une vision inspirée, qui a déjoué les pièges de l’exaltation, et un très heureux tandem : Labadie et l’OSM.

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